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Dépose minute

A3XX vs Dreamliner

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Gil Roy

Triste spectacle que celui de l’agonie de l’A380. Des dizaines d’appareils stockés un peu partout à travers le monde dont une partie ne revolera jamais. Comme les neuf d’Air France. Des avions de 10 ans d’âge dont plus personne ne veut et qui risquent de finir à la casse. Même si l’on ne doit pas dire « casse », mais « déconstruction », le résultat est le même.

Le coup de grâce a été donné, en février 2019, quand faute de clients, Airbus a décidé d’arrêter la production de l’A380. L’année des 50 ans de l’entreprise. En 1997, Jean Pierson, qui dirigeait alors Airbus avait pourtant déclaré : « l’A3XX sera encore en service quand Airbus fêtera son 100ème anniversaire ». Il fallait en être convaincu à l’époque pour entraîner ses partenaires dans une telle aventure industrielle et financière.

De là à en conclure que Boeing avait raison quand il affirmait qu’il n’y avait pas de marché pour un super jumbo jet, ce serait oublier la guerre psychologique que se sont livrés, pendant une décennie, les deux avionneurs. Ce serait nier les raisons pour lesquelles l’américain a jeté l’éponge. Ce serait aussi ignorer le projet « Very Large Commercial Transport » étudié conjointement par Boeing et Airbus en 1992-1993.

Autant de faits qui devraient encourager à réfléchir à deux fois avant de valider un commentaire sentencieux sur un échec industriel, aussi spectaculaire soit-il.

L’A3XX n’a pas été lancé sur un coup de tête. Sa gestation a été laborieuse. Les années 90 n’y auront pas suffi. Il faudra attendre le 19 décembre 2000 pour qu’Airbus lance officiellement ce programme sous le nom A380, soit plus de 12 ans après le démarrage des premiers travaux.

A la fin des années 80, une chose était sûre pour Airbus : il n’était pas question de laisser à Boeing, le créneau des très gros porteurs. Un créneau d’autant plus juteux que l’américain qui en avait le monopole manœuvrait à sa convenance. Le segment des avions de plus de 500 places allaient représenter 1.600 unités (dont 300 cargos) dans les années à venir soit une manne de 400 milliards de dollars. Tout est partie de cette hypothèse, réaffirmée tout au long de la maturation de l’A3XX, et quelques mois encore avant l’arrêt de l’A380.

Les analystes de Boeing n’étaient pas loin de partager ces estimations, jusqu’à ce que le projet du 747-500/600X à 7 milliards de dollars soit abandonné et que l’américain se lance dans une vaste entreprise de déstabilisation d’Airbus et de persuasion des clients potentiels de l’A3XX, que l’avenir n‘était plus aux méga plates-formes de correspondances desservies par des super A3XX. L’avenir appartenait aux modules beaucoup plus petits, mais avec d’aussi longs rayons d’action, pour faire du point à point. Les voyageurs en avaient marre de perdre du temps dans les correspondances. Le futur, c’était le 787. Le Dreamliner.

C’est à partir de ce moment-là que l’on peut parler de guerre psychologique menée par Boeing qui ne manquait jamais une occasion (il savait aussi les provoquer) pour convaincre son auditoire, en l’occurrence les médias lors des grands salons aéronautiques, qu’Airbus était en train de se planter. Certes, Boeing a vendu 5 fois plus de 787, qu’Airbus d’A380. Mais aussi élégant qu’il soit, le Dreamliner n’est pas étranger aux graves difficultés financières auxquelles Boeing est confronté actuellement. Tout mettre sur le dos du 737MAX, serait une erreur. Nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet.

Même si Boeing rêvait de tuer dans l’oeuf l’A380, ce serait nier la réalité que de lui attribuer l’arrêt du programme. Comme, de faire porter le chapeau aux seuls analystes. L’échec de l’A380 est en grande partie intrinsèque. L’A380 est un avion mal né, le bâtard d’une organisation industrielle qui se cherchait. Boeing n’a pas eu besoin de trop en faire. En interne, Allemands et Français s’en sont chargés. Il faut relire « Airbus, la véritable histoire » (éditions Privat) de Pierre Sparaco pour prendre la mesure des guerres intestines de l’époque.

La construction d’Airbus, en tant qu’entreprise, a été d’une rare complexité et l’A380 en a fait, d’une certaine manière, les frais. Mais le résultat est là. Airbus est aujourd’hui le numéro 1 mondial et l’A350 est une incontestable réussite technologique et commerciale. Il ne faut donc pas passer l’A380 en pertes et profits. Ce programme a permis de construire un géant de l’aéronautique que beaucoup de dirigeants politiques européens rêvent de dupliquer à d’autres secteurs économiques.

Il n’en demeure pas moins que c’est triste un A380 qui attend d’être « déconstruit ».

Gil Roy

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Gil Roy

Gil Roy a fondé Aerobuzz.fr en 2009. Journaliste professionnel depuis 1981, son expertise dans les domaines de l’aviation générale, du transport aérien et des problématiques du développement durable est reconnue. Il est le rédacteur en chef d’Aerobuzz et l’auteur de 7 livres. Gil Roy a reçu le Prix littéraire de l'Aéro-Club de France. Il est titulaire de la Médaille de l'Aéronautique.

View Comments

  • Il y a eu pleins de projets de "double ponts", aussi bien de Douglas que de Boeing que de Lockheed, et meme les Britishes! Je pense que l'epoque et le contexte font qu'Airbus ne pouvait pas faire autrement. Airbus a perdu sur l'A380 mais s'est refait sur l'A320 ou l'A350. Il y en aura d'autres. En tout cas, ils auront prouves qu'ils ont la capacite a produire un gros avion.
    Pour moi, l'A3XX a ete un reve pendant mon tte adolescence, je revais de travailler sur ce programme. Ca ne s'est pas fait et au final je suis alle travailler sur le 787 a Everett chez Boeing. Mes collegues americains considerait Airbus plutot avec professionalisme, pas trop de moqueries, surveillance accrue, critiques, mais serieux. Bien sur, la culture d'entreprise Boeing est forte, donc au final "if it's not a Boeing, i'm not flying!".
    Mais quels Titans ces 2 la!!!
    A plus

    Alain

    • Sacré aventure. Je me souviens du premier vol à la télé vers 11h ou midi je sais plus. C était quelque chose.
      Toute la France regardait. Peut être tous les pays Airbus.

      • Un grand moment, pour sûr !
        Nous étions au salon du modélisme, portes de Versailles à Paris, lors de ce premier vol. Un œil sur une télévision sur un stand, et dans l'aire de démonstration en vol nous avions fait décoller en même temps que le véritable A380 n°1 une maquette de cet avion... Un grand moment d'aviation et d'émotion, partagé par tous, exposants et public, ou tout le monde comprenait qu'un "moment" était en train de se produire !
        C'est l'image que j'ai de ce premier vol historique. A l'époque, on y croyait, le 747 était foutu...

  • L'armée de l'air pourrait en récupérer quelques uns pour assurer les relèves en opex?
    Qu'en pensez-vous?

    • Que les bases aériennes ne sont pas forcément équipées pour recevoir ces avions. Double pont, pistes larges et renforcées, etc..

  • On parle beaucoup des A380 et des vieux 747. Mais qu en est il des 747-8i ? (Je ne parle pas des cargo qui ont certainement prouvé leur utilité pendant la crise).
    Est il prevu qu ils revolent, une fois le deconfinement terminés ??
    Lufthansa et les autres vont ils aussi les mettre a la casse ?

  • C'est une bien belle histoire d'avoir créer un avion aussi emblématique. Pendant longtemps Boeing nous ont devancé avec leur 747. Et malgré les quelques variante qu'il on pu apporter depuis 1970, nous étions encore bien loin de leur compétences il faut le dire. Dans les années 70, tout est beau et en cours de développement. Dans les années 2000 le contexte est différent, on veut aller toujours plus vite et toujours plus loin mais moins cher et avec un respect pour l'environnement. Le travail d'airbus est considérable et les ingénieurs ont fait un boulot de dingue. Mais je ne pense toujours pas que la meilleure réponse a apporter a Boeing pour contrer son 747 soit l'a380. Les contraintes économique et environnemental était déjà bien trop importante a l'époque pour remettre un quadri réacteur sur le marché. Mais je ne perd pas espoir, les nouveaux projets airbus sont tout aussi novateur et allié tes techniques nouvelles comme le solaire, et bien d'autre. En tout cas si il ne save plus ou stocker les 380, je veux bien récupérer un cockpit pour mettre dans mon salon...... C'est mon côté sentimental de cette belle prouesse technologique.

    • L'avion du futur ne viendra pas forcément d'Airbus, sauf si celui-ci pompe sur d'autres projets.

    • L'article de monsieur ROY est assez exact: L'A380 a souffert des guerres politiques internes à AIRBUS. Un des élément qu'il l'a tué est par exemple son programme de maintenance catastrophique. EADS gérait très mal ses filiales de maintenances à l'époque et a perdu de cette compétence. 90 jours pour une viste C2 sur un A380! Des fois plus. Il en faut 10 voire max 12 jours pour un A330... Ce sujet tappe fort sur la rentabilité de l'exploitation de l'aéronef forcément. Et cela détruit la bonne idée de ce projet aux yeux de tous, lorsque des détracteurs dont à l'oeuvre.

  • je l'avais vu à Châteauroux Déols quelques jours avant sa mise en service commercial par Air France.
    Modeste pilote privé de DR400, j'avais été impressionné par sa discrétion au décollage et les angles pris en virage à faible vitesse.
    Comme vous le concluez dans votre lettre, triste de voir la "déconstruction" d'un avion dix ans après sa mise en service.

  • Bonjour.
    Je regrette vraiment l'abandon progressif du français au profit de l'anglicisme quand les journalistes utilisent tous, systématiquement, le mot "futur" au lieu "d'avenir".

    Bien sûr, la formule reste correcte, mais l'habitude de la - traduction littérale - en a fait devier l'usage.

    D'autres mots sont en train de suivre, tel "qu'experience".

  • Cet echec est surtout la conséquence d'un péché d'orgueil. Les compagnies aériennes n'étaient pas enthousiastes pour acquérir cet avion trop gros ou trop petit et sans réelles capacité d'emport de fret . Sans compter 4 réacteurs avec un choix entre la compléxité Rolls ou l'alliance contre nature entre GE et Pratt!
    Rêve d'ingénieur probablement ...mais le client final a toujours raison .

  • Le France...
    Caravelle...
    Concorde...
    A 380...
    Un Pdg allemand = une amende à 3 milliards de dollars US...

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