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L’hélicoptère a failli avoir son « AF447 »

Published by
Thierry Dubois

En 2011, la descente incontrôlée d’un Sikorsky S-92 au dessus de la mer a manqué de peu de se terminer en accident. L’équipage, malgré plusieurs erreurs, a rattrapé la situation de justesse. Dans le rapport d’enquête, le constructeur n’est pas exempt de reproche. Un air de déjà vu dans un autre domaine du transport aérien…

Une mauvaise utilisation des automatismes, des commandes à cabrer inopportunes, une descente involontaire et vertigineuse au-dessus de l’Atlantique : ce qui est arrivé en 2011 sur un hélicoptère Sikorsky S-92 de la compagnie Cougar Helicopters rappelle étrangement l’accident du vol Air France 447, deux ans auparavant. Sauf que, cette fois, les pilotes ont redressé juste à temps. Dans le rapport qu’il vient de publier, le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) pointe aussi des indications trompeuses dans le manuel de vol.

Le gros bimoteur S-92 du vol Cougar 851 a à son bord deux pilotes et cinq passagers. Il décolle le 23 juin à 14h57 d’une installation de production pétrolière au large des côtes canadiennes. Une minute et 26 secondes plus tard, il se retrouve, de façon absolument imprévue, en vol stationnaire à 12 m au-dessus de la mer. Entre temps, il est entré dans les nuages à 60 m d’altitude, est monté jusqu’à 165 m puis, cabré jusqu’à 23°, a atteint un taux de descente de 10 m/s (1880 ft/min), ralentissant jusqu’à 25 kt.

Cougar Helicopters encourage ses pilotes à utiliser les automatismes pour plus de sécurité et de confort. Lors d’un précédent incident, un équipage avait rencontré des problèmes lors d’un décollage manuel en conditions météorologiques de vol aux instruments (IMC). D’où l’utilisation courante, chez Cougar, du mode « remise de gaz » du pilote automatique (PA) juste après le décollage. Le manuel de vol du Sikorsky l’autorise. Le PA va commander une montée à 4 m/s (750 ft/min) et 80 kt.

C’est la procédure que le pilote du vol Cougar 851 veut employer. Mais, juste avant d’enclencher le mode « remise de gaz », il tire sur le manche de façon plus ample et plus rapide que la normale. Du coup, à l’instant où le mode automatique est activé, l’assiette est en train d’augmenter. L’hélicoptère continue à se cabrer et ralentit.

C’est la première erreur du pilote, selon les enquêteurs : avoir enclenché le mode « remise de gaz » sans avoir au préalable stabilisé l’assiette de l’hélicoptère. Dans le manuel de vol, il était pourtant écrit que ce mode doit être activé à partir d’un profil de vol constant, toutes compensations effectuées. Un mois après l’incident, Cougar a publié une note soulignant : « avant d’engager une fonction du PA, le pilote ne doit exercer aucune pression sur le manche ou la commande de pas collectif ; toute action sur ces commandes provoquerait une erreur dans le système, d’où des assiettes et inclinaisons imprévues. »

Avant d’enclencher le mode « remise de gaz », le pilote du vol Cougar 851 ne ressent pas la pression qu’il exerce sur le manche. Il se préoccupe d’autant moins de l’assiette qu’il pense que son appareil va adopter le profil de montée habituel, dès l’activation de l’automatisme. Il n’en est rien. Pire, alors que la vitesse chute déjà, le pilote tire à nouveau sur le manche, brièvement mais de façon significative. L’assiette continue à augmenter.

Tout en mettant en avant les actions intempestives du pilote, le BST estime que le manuel de vol est trompeur. Hormis la vitesse minimale Vmini (la vitesse minimale de contrôle en IMC, 50 kt), ce document ne suggère aucune autre restriction du domaine de vol, soulignent les enquêteurs. Le mode « remise des gaz » est même indiqué pour se sortir d’une situation anormale de vol, comme une assiette ou une inclinaison trop élevée. En avril dernier, Sikorsky a procédé à un ajout au manuel de vol : « en sélectionnant ‘remise de gaz’, il faut s’assurer que l’appareil est en montée stable et que le compensateur du manche est réglé pour annuler l’effort ».

Ces précautions ne sont pas respectées sur le vol Cougar 851. La vitesse finit par chuter en dessous de Vmini. Le PA se déconnecte et des alarmes retentissent.

Le copilote commet alors une erreur commune chez les moins expérimentés : il n’ose pas s’imposer et prendre les commandes. Il alerte bien le pilote sur l’assiette et la vitesse. Mais il croit que le commandant de bord s’efforce de faire les corrections voulues. En réalité, les fonctions cognitives de ce dernier sont ralenties, peut-être sous l’effet du stress ou d’une désorientation spatiale.

Finalement, le pilote fait lentement remonter le nez du S-92 et, dès la sortie des nuages, tire sur le manche collectif, augmentant la puissance des moteurs. Le copilote s’attendait à toucher l’eau et avait déjà armé les flotteurs.

Le TSB s’inquiète de l’érosion des compétences en pilotage pur. Chez Cougar Helicopters, chaque pilote doit désormais faire au moins deux approches manuelles tous les 90 jours. L’exploitant a aussi modifié ses pratiques en matière de récupération des situations anormales de vol. Il a publié une procédure manuelle et a amélioré sa formation sur simulateur.

Thierry Dubois

2. Le Sikorsky S-92 a arrêté sa descente à seulement 12 m au dessus de l'Atlantique.
2. Dans le cockpit du Sikorsky S-92, le copilote n'a pas osé s'imposer.
2. La compagnie Cougar Helicopters conseille à ses pilotes d'utiliser les automatismes, notamment au décollage.
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Thierry Dubois

Thierry Dubois est journaliste aéronautique depuis 1997. Ingénieur Enseeiht, il s’est spécialisé dans la technologie – moteurs, matériaux, systèmes — et la sécurité des vols. Chef du bureau français du magazine Aviation Week, il anime aussi des rencontres comme les tables rondes du Paris Air Forum. Pour Aerobuzz, Thierry Dubois couvre notamment les hélicoptères civils et des sujets techniques.

View Comments

  • L'hélicoptère a failli avoir son "AF447"
    Je suis un néophyte. Mais ce genre d'incident m'interpelle. Sans partager la pensée de la "décroissance", je m'inquiète de la surenchère technologique. Certes, les ordinateurs sont aujourd'hui capables d'analyses complexes avec des temps de réponse bien plus rapides que les humains, mais, sous prétexte de sécurité, on finit par opposer l'homme a sa machine au lieu de les compléter. On confie ainsi des tâches plus nombreuses et complexes aux automatismes en confinant parfois le pilote dans un rôle de contrôleur interne. On a déjà vu des accidents où les pilotes étaient occupés à comprendre la machine au lieu de piloter...
    L'avenir, de mon point de vue, est plutôt dans la recherche de nouvelles interfaces de vol qui rendraient compte du profil de vol et des risques de manière plus proche de la psychologie humaine... Je me doute bien que cette idée n'est pas neuve et qu'un travail important est mené en ce sens.
    Parallèlement le pilotage automatique sur voilure tournante a fait des progrès récents extraordinaires. Mais tous ces progrès ont-ils été menés de manière bien cohérente ? Ne se sont-ils pas réciproquement marché sur les pieds ?

    • L'hélicoptère a failli avoir son "AF447"
      On aura toujours besoin d'adapter l'entrainement des équipages aux super équipements automatiques des appareils, Voilures Tournantes ou fixes confondues, mais il apparaît que les gestionnaires des compagnies qui maîtrisent, sois disant tout, sauf la pratique du vol, préfèrent faire des économies en laissant se déliter les performances des équipages. Mes 20 années de pratique de l'instruction en vol sur hélicoptères, me permettent d'affirmer que plus les systèmes d'aide au pilotage sont performants, plus les pilotes doivent être formés pour les exploiter, mais encore plus pour faire face aux défaillances de ces aides qui, inévitablement surviendront à un moment critique bien entendu, si non, on en parlera même pas ..........Amis pilotes, la vie de votre équipage et celle de vos passagers est entre vos mains, ne laissez personne faire de vous des sous produits de la modernisation des aéronefs.
      D'autant plus que les simulateurs actuels sont formidables et peuvent vous permettre de vivre toutes les situations possibles, PROFITEZ EN A FOND.
      Il n'y a rien de pire que d'embarquer dans un aéronef en se demandant si l'équipage sera à la hauteur en cas de pépin !!!!!!!!!!!
      Messieurs et Mesdames les pilotes, prenez cela comme un conseil d'AMI.

  • L'hélicoptère a failli avoir son "AF447"
    l’automatisation toujours plus poussé au détriment du pilotage "aux fesses " continue de faire des ravages et c'est pas fini

    la mentalité des constructeurs est de plus en plus prendre les pilotes pour des demeurés qui ont besoin d'être tout le temps assisté ne leur confiant les commandes que parce qu'il faut "rassurer le public "

    malheureusement les statistiques montrent que les constructeurs ont raison d'une certaine manière : 70% des crashs sont du à des erreurs humaines que si la machine avait eu le contrôle en PA cela ne se serait pas pas produit

    l'ambivalence de la technologie versus humain poussé au maximum , le nouveau défi de l'aviation moderne

    • L'hélicoptère a failli avoir son "AF447"
      Oui les automatismes ne servent à faire...que ce que les pilotes savent déjà faire...quand tout va mal, le PA ne sait plus faire et c'est "à toi les commandes et démerde toi" !! Le mode "Go Around" porte mal son nom car sur tous les appareils, c'est la même chose, il faut déjà que l'assiette soit bien verrouillée...autant piloter à la main et revenir à la base : assiette, inclinaison, bille, puissance....

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