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Industrie

L’accident de l’Airbus A380 d’Air France en 2017 remet en cause la conception des moteurs aéronautiques

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Thierry Dubois

Les motoristes ont du pain sur la planche. Si l’on en croit Rémi Jouty, le directeur du BEA, ils vont devoir revoir la conception de pièces critiques sur les turboréacteurs destinés aux gros-porteurs. L’enquête sur l’accident du vol Air France AF066 – un Airbus A380 – apporte des éléments nouveaux sur l’utilisation d’un alliage de titane.

Equipé de quatre moteurs Engine Alliance GP7200, l’A380 décolle de Paris le 30 septembre 2017 à destination de Los Angeles. Au-dessus du Groenland, le moteur n°4 (extérieur droit) subit une sérieuse avarie : le module de soufflante éclate, les fragments sont éjectés essentiellement vers le haut et vers le bas. Aucun des 521 occupants n’est touché, la cellule souffre peu. L’équipage se déroute vers Goose Bay, au Canada.

Incident ou accident ?

La panne est considérablement plus grave que les incidents moteurs classiques et Rémi Jouty décide de la classer dans la catégorie des accidents. « Une fraction de seconde plus tôt, les débris partaient vers la gauche et vers la droite… et l’avion finissait par terre », ajoute-t-il durant une rencontre avec l’association des journalistes professionnels de l’aéronautique et de l’espace (AJPAE). Pénétration de la cellule, endommagement du longeron d’aile, des gouvernes ou des commandes de vol : l’avion aurait pu se disloquer en vol ou devenir incontrôlable.

Le rapport final est publié fin septembre 2020. Il révèle qu’un problème de métallurgie est à l’origine de l’éclatement moteur. Il ne s’agit pas d’un défaut de fabrication. Plus ennuyeux, un alliage que l’on pensait insensible à un certain type de fatigue peut en réalité en subir les effets néfastes. Du maintien long d’une contrainte est née la fissure fatale au moyeu de soufflante.

Autrement dit, un alliage de titane que l’on croyait sûr laisse apparaître une faiblesse – certes longtemps cachée – inacceptable.

Un alliage de titane en question

 

Dans les années 1970, des moyeux de soufflante ont connu des ruptures prématurées pour cette même raison. Un nouvel alliage a alors été mis au point. A la date de certification du GP7200, en 2005, on pensait qu’il avait fait ses preuves.

Dès le départ, la composition chimique de l’alliage était censée garder la pièce exempte de fissure. Des échantillons étaient prélevés pendant la fabrication afin de vérifier l’absence de grande zone de fragilité (l’ordre de grandeur étant un carré de 100 microns de côté). Un nombre significatif d’heures de vol avait été accumulées sans incident.

Cette démonstration vient d’être invalidée.

Un doute aurait pu être émis en 2010 et déclencher des études approfondies sur l’alliage incriminé.

Un constructeur (que le BEA ne nomme pas) « a développé ses propres critères pour la prise en compte de la fatigue par maintien [et] cette découverte n’a pas fait l’objet d’un partage avec la communauté des motoristes. » Le BEA regrette vivement cette situation.

Des morceaux du moyeu et d’une aube de soufflante, exposés lors d’une rencontre au siège du BEA, au Bourget. © Thierry Dubois / Aerobuzz.fr

Rémi Jouty s’inquiète pour les moteurs les plus gros, ceux qui équipent les long-courriers. La combinaison d’une forte poussée et d’une soufflante toujours plus imposante – synonyme de consommation réduite – conduit à la conception de moyeux agrandis. En même temps, les motoristes cherchent à limiter au minimum la masse de ces pièces critiques.

La probabilité qu’une grande zone de fragilité se crée à la forge augmente avec la taille de la pièce. On sait maintenant que de tels points faibles sont inhérents à la métallurgie de cet alliage de titane. On peut en tenir compte et concevoir une pièce sûre. En revanche, sans cette connaissance et si on dimensionne la pièce au plus juste afin de l’alléger, on risque de laisser des marges trop minces.

Chères inspections

Après l’accident, les moyeux similaires ont été inspectés. Des deux mis au rebut, un ne présentait pas de dommage extérieur, suggérant un problème identique de fatigue.

Un régime d’inspection périodique est désormais en vigueur. Il implique de déposer les aubes de soufflante tous les 330 cycles (une fréquence considérée comme élevée, un vol engendrant un cycle). Cette procédure est coûteuse en main-d’oeuvre et en immobilisation de l’avion.

De quoi motiver davantage encore les motoristes pour se pencher sur la conception des moyeux. Ils devront faire des concessions en matière de dimensionnement au sens large, estime Rémi Jouty. Ils pourraient devoir accepter des géométries différentes et des masses plus importantes.

Thierry Dubois

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Thierry Dubois

Thierry Dubois est journaliste aéronautique depuis 1997. Ingénieur Enseeiht, il s’est spécialisé dans la technologie – moteurs, matériaux, systèmes — et la sécurité des vols. Chef du bureau français du magazine Aviation Week, il anime aussi des rencontres comme les tables rondes du Paris Air Forum. Pour Aerobuzz, Thierry Dubois couvre notamment les hélicoptères civils et des sujets techniques.

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  • Dans les Années 70, j'ai étudié, réalisé et testé au CEAT un Blindage en vue de l’éclatement d'un disque de Fan ( considéré comme "Dramatique" en langage Aéronautique) sur le Nouveau Moteur Garret ( si je me rappelle bien) du nouveau Falcon 20 G qui passait ainsi de Simple Flux à Double Flux .
    Cela rentrait dans la procédure d'un Avionneur qui doit tout mettre en oeuvre pour éviter un événement "Dramatique" !!
    Heureusement pour l'Avionneur et le Motoriste !! Et malheureusement pour ma Société !! le Moteur s'est démontré fiable et il n'y a pas eut de Série !!

    • Le Falcon 20 était déjà à double flux d'où son nom d'origine : "Fan Jet Falcon".
      Le Falcon 20 G a bien été produit en série pour les Coast Guard américains à un peu plus d'une quarantaine d'exemplaires équipé d'un moteur Garret ATF3, lui aussi à double flux.

      Dassault en a tiré une version légèrement améliorée : le Falcon 20 H, rapidement rebaptisé Falcon 200, toujours équipé de l'ATF3.
      35 exemplaires ont été produits, ceux de notre Marine Nationale faisant peut-être partie de ce chiffre.

      Je serais bien curieux de savoir sur quel moteur Garret portait votre étude.

      • Bonjour Bruno
        C'est bien vieux !! Ce que je me rappelle, c'est le pourquoi de ce contrat d’étude et de réalisation .
        C'est que pour le 20 G, ce que l'on ma dit et justifiait cette commande , c'est que c’était bien un nouveau moteur doté d'un Fan et que dans le Cône d’éclat du Fan il y avait de ce fait, des Commandes de Vol et un Réservoir !! Si je me rappelle bien !!
        En tout les Cas des Éléments Vitaux d'ou cette procédure " De tout mettre en oeuvre pour éviter un événement dramatique "
        Un Moyeu Type a été défini, certainement entre le CEAT et Dassault de même que la configuration d'appui du Blindage dans la partie de bord d'attaque du moteur.
        Le Moyeu Type et le bâti recevant mon Blindage à été réalisé par le CEAT . De mon coté j'ai réalisé les Moules me permettant de réaliser les pièces du Blindage qui ne correspondait qu'au Cône Eclats vers la Structure de L'avion.
        Il y a eut deux Campagnes d'Essais. La Deuxième a été couronnée de Succès d’Arrêts !!!

  • L'alarmisme n'est pas de mise quant aux gros porteurs dont le nombre de moteurs trouve sa justification simplement du fait probabiliste : chez les multimoteurs, un quadrimoteur sera plus sûr qu'un trimoteur a fortiori qu'un bimoteur...
    Le domaine concerne est plus ici lie à la métallurgie du titane qu'à la conception des moteurs...hormis un nouveau dimensionnement des pièces en alliage de titane lié à la re-définition du coefficient de sécurité suite à une nouvelle approche de la fatigue de ce matériau cf. https://korii.slate.fr/tech/airbus-a380-reacteur-explosion-groenland-enquete-bea-conclusions-alliage-titane-fautif !

    • Le juge restera le modèle de securite. Il ne reste pas moins vrai qu'il faille regarder avec attention ces incidents et mettre à jour les hypothèses...

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