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Transport Aérien

La disparition d’un avion n’a rien de surnaturel

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Jean-Paul Troadec

Bien que les médias qualifient fréquemment la disparition du vol MH370 de « mystère », l’impossibilité jusqu’à aujourd’hui de localiser l’épave du Boeing 777 de Malaysia Airlines perdu corps et biens, le 8 mars 2014, s’explique techniquement. Les difficultés à localiser les enregistreurs de vol (boites noires) du vol AF447 Rio-Paris, en apportent d’ailleurs un exemple. Il ne s’agit pas pour autant d’une fatalité. Et même, si les causes de la disparition du vol MH370 restent inexpliquées, ce drame va néanmoins contribuer à améliorer la sécurité du transport aérien, grâce à une série de recommandations de l’OACI.

La disparition en mer du vol Rio-Paris en juin 2009 (retrouvé deux ans après) et plus récemment celle du vol MH370 en mars 2014 (toujours pas retrouvé) ont frappé les esprits bien au-delà de ce que l’on observe dans la plupart des catastrophes aériennes.

A une époque où chacun a le sentiment d’être suivi en permanence par le réseau de son téléphone ou les caméras de surveillance lors de ses déplacements, où des satellites observent la surface de la planète avec une précision centimétrique, comment admettre qu’un avion aussi gros qu’un B777 ou un A330 puisse disparaître ?

Une journaliste n’a-t-elle pas ainsi qualifié la disparition de MH370 « d’insulte à l’intelligence humaine » ?

Et pourtant…

Au-dessus des océans, la portée limitée des radars de navigation et de défense aériennes ne leur permet pas de détecter les avions au-delà de quelques centaines de kilomètres du rivage. Il existe certes des radars de surveillance transhorizon d’une portée beaucoup plus longue mais ils ne couvrent pas tous les océans et ne sont pas actifs en permanence.

Au milieu de l’océan, seule la transmission par l’avion de sa position via satellite permet de le situer.

Si l’avion ne transmet pas sa position parce qu’il n’est pas équipé, ou parce que la transmission a été interrompue, comme dans le cas du MH370, il n’y a plus aucun moyen de le suivre. Et même s’il transmet sa position, il le fait à des intervalles de temps tels qu’entre l’émission du dernier signal et la disparition de l’avion en mer, il peut avoir parcouru plus de 100 km (le rayon du cercle d’incertitude était de 75 km dans le cas du Rio-Paris).

Or la recherche de l’épave au fond de l’eau nécessite de réduire autant que possible la surface de la zone de recherche pour des questions de durée et de coût.

Pour cela, on peut essayer reconstituer la dérive, sous l’effet du vent et des courants, des débris retrouvés en surface. Les calculs faits par les instituts d’océanographie sur la trajectoire supposée des débris du vol Rio-Paris, retrouvés pourtant à peine quelques jours après la disparition de l’avion, ont emmené les enquêteurs très loin de l’épave et ont retardé de plusieurs mois sa découverte. Quant au vol MH370, les premiers débris ont été retrouvés plus d’un an après la disparition de l’avion. C’est une des raisons qui ont amené les enquêteurs à ne pas prendre en compte le résultat de certains calculs de dérive des débris pour définir la zone qui a été explorée.

L’effet conjugué du vent et des courants rend les estimations de dérive des débris rapidement très imprécises.

Très récemment, et à l’occasion de la recherche de l’épave du vol MH370, est apparue une nouvelle possibilité, basée sur l’analyse des signaux de service échangés entre le système satellitaire de l’avion, bien que n’émettant pas, et le satellite de communication. Mais à ce stade, cette méthode n’a pas donné de résultat concluant.

Ayant délimité à un niveau jugé acceptable la zone de recherche sous-marine il s’agit de trouver l’épave au fond de l’eau afin de remonter les pièces utiles à l’enquête et les corps des victimes.

Dans les premières semaines suivant l’accident, les balises d’émission acoustique placées sur les enregistreurs, d’une portée de quelques kilomètres, doivent permettre de détecter l’épave en immergeant des hydrophones. Mais cela suppose de disposer des détecteurs appropriés et de les mettre en œuvre dans les délais impartis, sans garantie de succès : on a su à la fin des recherches du vol Rio-Paris que l’on était passé à portée d’émission des balises acoustiques, alors qu’elles étaient supposées émettre, sans les entendre.

Au-delà de cette période, courte au regard des difficultés logistiques, il faut envoyer des sonars tractés ou autonomes, sortes de radars sous-marins fonctionnant avec des ondes acoustiques, explorer le fond de l’océan afin de repérer l’épave.

Les moyens actuels permettent d’explorer des fonds sous-marins à grande profondeur avec une probabilité de détection élevée. Mais il s’agit de moyens sophistiqués, dont l’exploitation est difficile par mauvaises conditions météorologiques, et surtout très coûteux.

A raison d’environ 1000 € le km2 exploré, on imagine le coût d’une exploration lorsque la localisation de l’épave n’est connue qu’avec une grande incertitude. Rappelons que 120.000 km2 ont été explorés, sans succès, dans l’océan indien pour retrouver le MH370.

On ne peut pas évidemment se satisfaire de la perspective de continuer à voir des avions disparaitre alors même que les moyens techniques de suivre avec précision leur trajectoire existent.

C’est ainsi que l’OACI a adopté à la suite des accidents des vols Rio-Paris et MH370 un certain nombre de recommandations portant sur la transmission automatique de la position des avions en opérations normales (toutes les 15 mn) et en cas de détresse (toutes les minutes), sur la récupération des données des enregistreurs, ou encore sur la durée d’émission des balises acoustiques.

Certaines compagnies aériennes ont déjà mis en œuvre une partie de ces mesures. Leur généralisation devrait faire que, à terme, la disparition des avions ne soit plus qu’un phénomène du passé.

Jean-Paul Troadec

 

 

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Jean-Paul Troadec

Maintenant retraité, Jean-Paul Troadec a été directeur du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité aérienne), d’octobre 2009 à décembre 2013. Cette période a été notamment marquée par la conclusion de l’enquête sur l’accident du vol AF447 Rio-Paris à la suite de la récupération des enregistreurs de l’avion qui avaient séjourné 2 ans par 4.000 m de fond. Au cours de ses 42 ans de carrière professionnelle, Jean-Paul Troadec a notamment dirigé SEFA, l’école de pilotage de la DGAC maintenant intégrée dans l’ENAC et à la direction du service du contrôle aérien (maintenant la direction des opérations de la DSNA). Pilote IFR, il a effectué 2.000 heures de vols sur de nombreux types d’appareils, dont des turbomachines. Jean-Paul Troadec est un ancien élève de l’Ecole Polytechnique (X67) et de l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile.

View Comments

  • Soit on prend ce que l'on (autorités) nous dit pour argent comptant, soit on émet quelques réserves.
    Il s'est dit sur d'autres sites (membres des asso des victimes du Rio-Paris) que l'on n'a pas cherché de suite au bon endroit ...
    L'AF447 ayant transmis dans sa chute des messages de pannes on pouvait subodorer que les sondes Pitot étaient le premier suspect, ce qui n'a pas empêché le ministre de déclarer :.
    "Les pilotes sont coupables à 95%, l'avion à 5%" .
    Alors, concernant le MH370, peut-être que le mystère est entier, mais peut-être qu'en "haut", "on" sait.
    Précaution "industrielle", diplomatie, enjeux géo-politiques, commissions, rétro-commissions ... qui croire ?
    Concernant l'autre volet, le suivi des avions, ne s'agit-il pas seulement de recommandations qui laissent aux compagnies "exotiques" le soin de s'équiper ou non ?...

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