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Transport Aérien

Le Boeing 747, une success-story en trompe l’œil

Published by
Frédéric Marsaly

Le début 2023 a été marquée par la sortie d’usine du dernier Boeing 747. Si la trace de cet avion dans l’histoire est désormais indélébile, la place du Jumbo-Jet dans cette série estivale d’Aerobuzz, de façon particulièrement surprenante, semble ne pas aller de soi. Un certain nombre d’arguments vont effectivement dans ce sens. Et pourtant…

Le 747 est-il vraiment une success-story ? Se poser la question, c’est déjà y répondre. Ne cherchez pas, la réponse est non ! Tout simplement parce que le quadrimoteur de Boeing n’a été construit qu’à 1573 exemplaires ! Le Boeing 727 a fait mieux en seulement 20 ans de production alors que « le gros » est resté sur chaîne pendant plus d’un demi-siècle. Parce qu’il faut le dire, aussi, tout net, et contrairement à une croyance populaire particulièrement répandue, ce n’est sans doute pas le 747 qui a démocratisé le transport aérien et offert le ciel à l’humanité, ce sont peut-être bien le 727 et son avatar biréacteur 737.

Peut-on considérer comme une success-story le résultat d’un pari amical, entre deux quinquagénaires, conclu au cours d’une partie de pêche en ces termes : « un avion de 400 places, si tu le construits, je te l’achète ! » Comme cette affirmation de Juan Trippe, créateur de la PanAm, à Bill Allen, boss de Boeing semble désuète en 2023 !!

Et si on peut concéder que vendre 1573 avions conçus comme une solution intérimaire en attendant que le ciel se remplisse de supersoniques est une belle histoire, c’est surtout un coup de poker insensé qui a plongé Boeing, pendant des années, dans une tourmente financière dont la compagnie aurait pu ne pas se relever.

Alors une success-story, la belle affaire ! Il aurait fallu aussi que toutes ses versions soient des succès absolus ; or le -100 (205 exemplaires), le -300 (81) et surtout le -SP (45), sans oublier le -8 (155) n’ont pas vraiment convaincus ! Restent donc les version -200 (393 exemplaires) et -400 (694) soit un peu plus de la moitié de la production seulement. Est-ce suffisant pour faire un tel triomphalisme ?

Donc non, le Boeing 747 n’est pas vraiment une success-story !

Mais bizarrement, alors que j’écrivais ces lignes, un drôle de grondement sourd s’est fait entendre au-dessus de mon immeuble. Inhabituel par son intensité et sa fréquence, ce bruit m’a jeté à ma fenêtre la tête en l’air et l’œil aux aguets. Au-dessus de moi, sous des ailes d’une élégance incroyable, pendaient bien quatre réacteurs. Un 747-8 de Korean décollait de Roissy pour Séoul.

Et je me suis souvenu que l’exploit du 747 n’était pas seulement d’avoir été le porte-drapeau d’une technologie analogique, il reste la concrétisation de l’impensable, la victoire de la volonté sur les idées reçues, la réponse à la question qu’on se pose tous lorsqu’on se retrouve au pied de son train d’atterrissage : mais comment est-il possible que ce truc-là, aussi gros et aussi lourd, puisse voler (et gracieusement en plus !), à peine 60 ans après la traversée de la Manche par Louis Blériot, juste le temps d’une vie !?

Pour parvenir à le construire, Boeing a dû bâtir l’usine d’Everett et Everett a fait de Boeing un constructeur aéronautique incontesté pendant le demi-siècle qui a suivi, notamment parce que cette usine était assez vaste pour produire d’autres long-courriers tout en libérant la place ailleurs pour multiplier les monocouloirs !

Et je suis resté là, comme un con, à admirer cet avion quelques secondes avant qu’un nuage ne l’avale, comme si je n’en avais jamais vu d’autres.

Non, cet avion n’est pas une success-story, c’est au-delà ! Il est l’avion que tout le monde connaît, et surtout reconnaît, un des chefs d’œuvre d’une époque révolue où on regardait l’avenir avec espoir et envie. Ce n’est pas simplement une des très belles légendes technologiques du XXe siècle : Plus qu’une success-story, le 747 est iconique.


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Frédéric Marsaly

Frédéric Marsaly, passionné par l'aviation et son histoire, a collaboré à de nombreux média, presse écrite, en ligne et même télévision. Il a également publié une douzaine d'ouvrages portant autant sur l'aviation militaire que civile. Frédéric Marsaly est aussi le cofondateur et le rédacteur en chef-adjoint du site L'Aérobibliothèque.

View Comments

  • Le titre annonçait un calvaire : quoi, un sacrilège contre une icône de l'Histoire de l'Aviation !
    Heureusement la tempête s'est calmée et le dernier tiers terminait mieux l'article.
    Jusqu'au point final il manquait toujours son glorieux prénom : Jumbo Jet.
    Pour l'essentiel de cette Success-Story, Bernard Bacquie s'en est chargé.

  • C'est injuste de dire que le 747 n'est pas l'avion qui a démocratisé le voyage aérien et que ce serait le 727 et le 737. Sans le 747, les voyages à longue distance ne se seraient pas démocratisés. Ce n'est pas avec le 727 qu'on aurait relié l'Europe aux USA, ouvert Bali, les plages de Thaïlande aux touristes, sans parler de Hawaï relié à l'Amérique, et toutes les liaisons qui sillonnent le Pacifique. Les 727 et 737 ont démocratisé un autre transport aérien, celui de courte et moyenne distance. Le 747 a rétréci le globe terrestre.

  • Hé oui ! Monsieur Marsaly, c'est bien au-delà d'une success-story. Pour moi, le Jumbo Jet est une love-story. Plus de 16 années (en Copi d'abord, puis en CdB) et plus de 10 000 heures de vol sur 747-600. Ah, pardon, j'ai additionné les 100, 200 et 300 ! Avec près d'un million de passagers transportés vers les Amériques, vers l'Asie et l'Afrique, avec des vols polaires sans GPS, mais des plateformes à inertie qu'il fallait recharger et recaler (à cause de la précession) quand la composante horizontale du champ magnétique terrestre se faisait trop faible. Avec quelques pannes, parfois embêtantes mais toujours résolues, comme la panne de l'hydraulique circuit 1 qui nous privait d'orientation de roulette avant, ce qui m'avait valu de faire un atterro style porte-avions sur la piste courte de Cotonou afin d'éviter le demi-tour sur la raquette du bout de bande. J'avais aussi vidangé 30 tonnes de pétrole jusque sur le Bronx pour un atterrissage d'urgence à Kennedy, sauvant ainsi la vie d'un cardiologue américain embarqué à Washington qui faisait une grosse crise cardiaque. Mais j'avoue le meurtre d'une quinzaine de mouettes à Marseille, en provenance de Tananarive (pas les mouettes, l'avion !), lorsque, effrayées par le monstre, elles s'étaient envolées de la décharge qu'un élu marseillais avait cru bon de créer au seuil de piste. Après boroscopage du réacteur qui les avait toutes avalées, on avait continué sur Paris... Sacré engin avec une p... de terrasse où l'on avait l'impression de viser la mi-piste pour poser les roues aux plots - ce qui ne fut pas donné au 380 au cockpit plus bas. Un géant qui donnait aux baigneurs inconscients de Saint-Martin l'occasion d'admirer son tapis de roues passant à quelques vingt mètres au-dessus d'eux à plus de 200 km/h. Avec le 300 c'était 550 personnes à bord, pax + équipage ! Et surtout avec une interface homme-machine exceptionnel que les ingénieurs de moins de 70 ans ne peuvent pas comprendre !

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