Publicité
Aviation Générale

H55 : la naissance d’un motoriste électro

Published by
Gilles Rosenberger

La société Suisse H55, issue de Solar Impulse et dédiée au développement de systèmes de propulsion électrique pour l’aviation, vient d’annoncer une importante levée de fonds. Ces 20 millions de francs suisses supplémentaires devraient permettre à cette start up créée notamment par André Borschberg (Solar Impulse) d’achever le développement et de la certification (annoncée pour 2022) d’un premier système bâti autour d’un moteur électrique délivrant 90 kW (120 hp) et d’une batterie de 50 kWh offrant 90 minutes d’autonomie (réserve comprise).

Depuis la création de H55, les investisseurs privés ont apporté près de 20 M€ qui viennent ainsi compléter des financements publics (Suisse et européens) à hauteur total d’environ 5 M€. Les autorités du Canton du Valais, où la société est installée, ont de plus annoncé la construction de nouvelles installations pour accueillir les activités de développement et d’essai (les montants originaux en Francs Suisse sont ici traduits en Euros).

La certification de ce premier système n’est pas encore acquise, mais l’addition de la vision d’une future aviation décarbonée, de l’expérience acquise sur Solar Impulse, de la réunion de solides compétences et du support d’investisseurs convaincus (et démontrant leurs convictions avec des montants élevés) rend tout ce projet crédible.

Tout cela devra permettre ensuite le développement d’une future gamme de systèmes progressivement plus puissants, embarquant plus d’énergie, plus complexes … et donc de nous permettre d’assister à la naissance du premier motoriste de l’aviation électrique et hybride.

L’héritage de Solar Impulse

En juillet 2016 quand Bertrand Piccard pose le Solar Impulse 2 à Abu Dhabi, il n’achève pas seulement une fabuleuse aventure mais marque la première étape d’un projet encore plus grand. Bertrand Piccard va se faire le porte-parole de progrès technologiques compatibles avec la protection de l’environnement et économiquement viables et créer la Fondation Solar Impulse pour porter ce message.

André Borschberg, l’autre tête de Solar Impulse (et bien sûr, l’autre pilote), parfois moins connu du grand public que Bertrand Piccard, va poursuivre l’idée de la propulsion électrique pour aéronef et créer H55, ce nouveau constructeur.

Andre Borschberg, l’autre face de Solar Impulse

Quand Bertrand Piccard soumet en 2003 son idée d’un vol « perpétuel » sans carburant à l’EPFL (École Polytechnique Fédérale de Lausanne), c’est André Borschberg, lui-même ingénieur diplômé de l’EPFL, mais aussi précédemment pilote de chasse dans la Force Aérienne Suisse (il a notamment volé sur Hawker Hunter et Northrop F-5) qui est chargé d’évaluer le projet. A cette date, André a déjà quitté les forces aériennes depuis un peu plus de 10 ans et conduit une carrière de consultant (chez McKinsey) puis d’entrepreneur (notamment dans la Silicon Valley).

Et c’est « tout naturellement » qu’il s’intègre alors à l’aventure Solar Impulse pour en devenir l’un des cofondateurs et y prendre la responsabilité de la conception, de la fabrication et des essais des 2 avions. Il en devient aussi l’un des 2 pilotes. Il réussira alors à réaliser le plus long vol mono-pilote au monde : 4 jours, 21 heures and 52 minutes, entre le Japon et Hawaï.

Solar Impulse, 15 ans d’aventure

Solar Impulse c’est une aventure de près de 15 ans qui a permis la construction de 2 avions (Solar Impulse 1 – un démonstrateur aujourd’hui exposé à la Cité des Sciences et de l’Industrie (Paris) – et Solar Impulse 2 – l’avion qui a fait le tour du monde en 2015-2016 et qui aujourd’hui sert de prototype à un avion sans pilote destiné à la surveillance aérienne.

L’équipe de H55 revendique un héritage technologique de cette double expérience intégrant cellules photovoltaïques, batteries et moteurs électriques.

H55 et l’aEro1

« Hangar 55« , c’est le nom du hangar où, au milieu des années 2010, sur l’aéroport de Sion (Suisse), André Borschberg, Gregory Blatt, Sebastien Demont, Thomas Pfammatter et Dominique Steffen créent une startup du même nom pour contribuer à développer l’aviation électrique.

Gregory vient lui aussi des programmes Solar Impulse ; citoyen canadien tombé amoureux de la Suisse, il y avait la charge du marketing, de la communication et des relations extérieures. Il faut ajouter que Gregory a travaillé pendant 15 ans au World Economic Forum (Davos) en tant qu’assistant du président Claude Schwab, puis membre du Conseil, avant de rejoindre Solar Impulse où il y a entrainé une grosse part des 90 partenaires économiques qui ont financé les 2 avions (pour 150 M€).

Si André est « la figure publique » de l’entreprise H55, un conférencier fréquemment invité, Gregory est l’architecte de toutes les relations entre entreprises, partenaires ou autorités. Sébastien, lui, vient aussi de Solar Impulse où, ingénieur électricien il était responsable de l’architecture électrique. Thomas apporte son expérience d’entrepreneur et de pilote professionnel et Dominique son expérience d’ingénieur et de pilote d’essai.

Dans le sillage de Solar Impulse

Toute cette équipe s’attaque d’abord à la motorisation électrique d’un petit ULM allemand monoplace de voltige, le Silence Twister (+6g; -4g). Vendu en kit de pièces composites, l’avion ressemble à un petit Spitfire, et les motorisations habituelles Jabiru, Rotax, UL Power de 70 à 90 kW font de cette machine de 380 kg (MTOW) un appareil véloce et très réactif. Une motorisation basée sur le turbopropulseur de Turbotech (90 kW) est même envisagée.

Pour la version électrique baptisée aEro1, Siemens est sélectionné pour fournir un moteur de 80 kW et Renata, la marque « batteries » du groupe Swatch (les montres) fournit l’énergie embarquée (160 kg) pour une autonomie d’une vingtaine de minutes (cellules neuves). Le temps de charge annoncé est équivalent à l’autonomie.

Le premier vol a lieu le 21 septembre 2016, seulement 2 mois après la fin du tour du monde de Solar Impulse 2. La presse fait état d’un financement assuré par les autorités du Valais (The Ark foundation pour 80 %), l’Office Fédéral de l’Air (la DGAC Suisse) et le groupe Swatch. L’avion porte les couleurs de Hamilton (marque prémium de Swatch) et le pilote « de l’écurie« , Nicolas Ivanoff viendra faire l’un des premiers vols.

Un motoriste et un avionneur en parallèle

Dans le courant de l’année 2017, l’équipe de Hangar 55 se scinde en deux. André, Gregory et Sébastien restent à Sion et rebaptisent la société H55 pour ne développer « que » des systèmes propulsifs électriques pour l’aviation (en anglais EPS). Thomas et Dominique décident de prolonger l’expérience d’avionneur née avec aEro1 : aEro2 sera un eVTOL (appareil biplace électrique à décollage vertical destiné au marché des taxis volants) et aEro3 sera la version 5 places du précédent. Leur nouvelle société prend le nom de Dufour Aerospace et s’installe sur un petit terrain situé à 50 km de Sion, à Viège (Visp). Les deux équipes affirment conserver d’excellentes relations.

L’efficacité énergétique d’abord

L’objectif de H55 est de « développer des solutions techniques pour rendre le transport aérien propre, sure, silencieux, efficace, économiquement accessible et à terme autonome, par l’utilisation de systèmes propulsifs électriques » (en anglais EPS). Le maître mot d’André Borschberg est systématiquement celui de l’efficacité énergétique. Le système breveté repose sur un ensemble modulaire capable d’être installé sur de nombreux appareils. Les modules de batteries se répartissent entre zone moteur (en avant de la cloison pare-feu) et les voilures.

Et l’équipe présente aussi sa volonté d’utiliser la certification comme un vecteur d’exigence et de progrès.

Bristell Energic

Pour H55, l’étape suivante doit être plus puissante, embarquer plus d’énergie et surtout être certifiée. Et comme il faut monter progressivement en difficulté, il s’agira d’abord de motoriser un monomoteur biplace.

Un accord est trouvé avec la société tchèque BRM aéro, qui produit une gamme d’ULM métalliques biplaces et légers (475 à 600 kg), et qui a l’ambition de concevoir et certifier un appareil analogue mais plus lourd et destiné à proposer 2 versions : thermique (avec un moteur Rotax) et électrique avec un système (baptisé EPS55) dont H55 va assurer le développement et la certification. La version thermique prend le nom BR23 (23, comme la spécification de certification européenne : CS-23) et la version électrique : Bristel Energic.

Les deux avions sont des appareils à aile basse, une installation de l’équipage côte-à-côte et un train fixe tricycle (des versions train rétractable et train classique existent pour les ULM).

90 minutes d’autonomie

Pour l’EPS55, la société annonce une autonomie de 90 minutes (réserves comprises) pour permettre des vols d’instruction de 45-60 minutes. La batterie (50 kWh, capacité à la livraison) est développée en partenariat avec BMW. Le moteur installé fournit 90 kW en pic au décollage et 65 kW en continu.

En comparaison, le Velis qui vient d’être certifié par Pipistrel pour une mission analogue (50 minutes + réserves avec des batteries neuves) est équipé d’un moteur de 57,6 kW (pic) et 49,2 kW (continu) et d’un système de batteries délivrant 22 kWh au total. Sa masse maxi (MTOW) est de 600 kg. Et la spécification de certification est la CS-LSA (moins contraignante et aussi moins ambitieuse que la CS-23).

Objectif certification 2022

Une autre comparaison : l’Elixir est un plus petit avion que le BR23, les deux biplaces récemment certifiés sous CS-23 avec une motorisation Rotax. Avec une MTOW de 750 kg pour le BR23 contre 554 kg pour le Français, une envergure de 9,27 m contre 8,48 m et une surface alaire de 11.75 m2 contre 7,90 m2. Les deux sont équipés de moteurs Rotax 912 (100 hp) mais l’Elixir est équipé d’une version injectée, leurs plages de vitesse et leurs autonomies sont comparables.

Le choix d’une configuration biplace « lourd » (tout est relatif !) pour Bristell vient probablement de la nécessité d’emporter une masse importante de batterie ; H55 communique peu sur ses données techniques mais les 50 kWh doivent peser environ 300 kg.

Le premier vol de l’Energic a lieu le 21 juin 2019 et le processus de certification de l’EPS ciblait initialement l’obtention d’un Certificat en fin 2021; dans les communications les plus récentes de la société, cette échéance semble être reportée à 2022.

Aircraft Design & Certification.

Il est difficile de parler de certification du BR23 ou de celle de l’EPS55 sans évoquer AD&C (Aircraft Design & Certification), le Bureau d’Etudes Allemand qui réalise les travaux de conception et de certification pour de nombre nouveaux constructeurs européens. On retrouve ainsi notamment les « traces de passage » (et certainement bien plus) de Marcus Basien et Boris Kölmel, les 2 cofondateurs, sur notamment Solar Impulse, H55, Pipistrel, BRM mais aussi Elixir et Sonaca.

Cette structure d’une vingtaine d’ingénieurs talentueux est capable de prendre un projet d’avion dès son cahier des charges et de le développer jusqu’à sa certification. Et ce sont aussi des experts de l’EASA, de ses arcanes et des « subtilités » de ses spécifications. Les interventions de AD&C permettent souvent à leurs clients d’acquérir les compétences nécessaires pour continuer ensuite de façon plus autonome. Ainsi H55 devrait se voir attribuer DOA et POA (les agréments de conception et de production de l’EASA) en même temps que la certification de la motorisation de l’Energic. Une telle entité n’a pas d’équivalent en France

Le financement d’une vision

André Borschberg et son équipe portent la vision d’une future aviation décarbonée dans laquelle les « petits acteurs » sont plus véloces et plus réceptifs aux nouvelles idées que les (très) grands motoristes internationaux de l’aviation commerciale. Pour André, le chemin le plus rapide passe par l’Aviation Générale dont le système de certification permettent de monter progressivement jusqu’à des avions de 19 places.

Cette vision serait tombée dans le « vide intersidéral » si l’équipe n’avait pas réussi à lever les fonds nécessaires. Et sur ce plan les « gros réseaux » d’André et de Gregory (l’homme du forum économique de Davos …) leur ont permis d’aller chercher fonds publics et privés.

  • 2016 : des financements publics (The Ark foundation) permettent de compléter le financement apporté par Hamilton dans le développement d’aEro1.
  • 2018 : une société de capital risque de la Silicon Valley (Nano Dimension) contribue à un tour de table de plus de 4.6 M€ et permet d’assurer le démarrage du Bristell Energic
  • 2019 : H55 se voit attribué une subvention européenne (oui, pour une entreprise Suisse !) dans la cadre dit « instrument PME » pour un montant de plus de 70.000 €
  • 2020 : les autorités du Valais annoncent financer les futures installations de H55 sur l’aéroport de Sion (le montant global -pas uniquement pour H55- porte sur 25 millions de CHF).
  • 2020 : H55 annonce une nouvelle levée de fonds de 20 millions de CHF (18,5 M€) dont 5 de subvention des autorités Valaisannes et le reste apporté par des investisseurs en capital-risque tels que Nano Dimension (déjà présent au tour de table précédent), Ace & Company  (Genève, Londres et New York) et Tippet Venture Partners (Palo Alto).

Une certification à 50 M€

Avec un total de fonds propres qui doit maintenant dépasser 25 M€, H55 a réussi à lever les montants qui devraient lui permettre de faire croitre ses équipes (ils ont aujourd’hui une trentaine) pour achever la certification de la motorisation du Bristell Energic en 2022.

Comme il est probable que sur la base de ces premiers 25 M€, la société réussisse à obtenir des financements bancaires du même ordre de grandeur, c’est de 50 M€ qu’il faut parler, chiffre « raisonnable » pour terminer la certification du premier EPS et initier le développement de systèmes plus puissants, dotés de plus d’énergie. Pour des avions plus gros, des commuters, des multimoteurs, des eVTOL et avec des systèmes hybrides.

H55 devra alors continuer à lever les fonds nécessaires ; et ce, tant que les ventes ne pourront pas offrir les marges nécessaires. Ce qui pour les startup de ce modèle durera probablement encore quelques années. Et jusqu’à présent, H55 a démontré son savoir-faire ..

Gilles Rosenberger

Publicité
Gilles Rosenberger

Gilles Rosenberger se définit comme ingénieur, pilote (aile delta, planeur et avion monomoteur) et entrepreneur. Expert de la Nouvelle Aviation, il est un observateur avisé et bien informé des développements des nouvelles technologies et usages qui devront nous permettre de “voler moins carboné”. Il a construit son expérience et son expertise dans des sociétés telles que Socata, Aircelle, Safran, GECI-Skylander, Thales, Airbus-Voltair, Faraday Aerospace et Time To Fly.

View Comments

Recent Posts

Les sous-traitants aéronautiques sous haute pression

Les profits records d’Airbus et des autres donneurs d’ordres se paient chers. Les petites et… Read More

29 avril 2024

easyJet va recruter 1.000 pilotes cadets d’ici à 2028

La compagnie à bas coût easyJet lance son programme de recrutement de pilotes cadets pour… Read More

29 avril 2024

L’escadron franco-allemand d’Evreux dispose désormais de ses dix C-130J

Depuis la semaine dernière, l'escadron franco-allemand basé à Evreux dispose de dix Lockheed Martin C-130J.… Read More

29 avril 2024

A la guerre comme à la guerre !

© Vincent / Aerobuzz.fr Ainsi il semblerait que l’Ukraine ait transformé des ULM Aeroprakt A-22… Read More

28 avril 2024

SkyVibration intègre 4 turbines électriques sur une wingsuit

La société SkyVibration, basée à Chambéry, développe un système de wingsuit équipée de 4 turbines… Read More

27 avril 2024

Avec l’uchronique A60 Junkers Aircraft réinvente le passé !

En plus de ses répliques d'avions anciens, Junkers F13 et autres E50, Junkers Aircraft a… Read More

27 avril 2024
Publicité