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Aviation Générale

Les nouvelles épaulettes de Guillaume Féral

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Jérôme Bonnard

Armé d’une licence théorique de pilote de ligne toute fraîche, Guillaume Féral, figure de proue des pilotes paraplégiques, s’apprête à se lancer dans un tour du monde de 10 mois en avion léger, avec le sud-africain Mike Lomberg, également paraplégique. A son retour, dans un petit plus d’un, il achèvera sa formation d’instructeur professionnel par l’IR (vol aux instruments) pour intégrer un ATO (Approved Training Organisation).

Guillaume Féral n’est pas facile à attraper. Sa vie aéronautique et son agenda n’ont jamais été aussi chargés et intenses que ces derniers mois, il l’avoue. A bientôt 60 ans, il vient de réussir l’ATPL théorique (Airline Transport Pilot Licence), le « théorique du pilote de ligne » et s’apprête à passer le CPL (Commercial Pilot Licence) le mois prochain. Il est enfin en pleine préparation de son tour du monde en avion. Rien que ça !

Une vie intense qu’il aime tant, et qu’il a failli perdre à l’âge de 25 ans. A l’époque il est déjà breveté pilote privé depuis quatre ans et rêve de devenir pilote professionnel. Il se met alors au planeur et c’est lors de son second vol solo qu’il se crashe au décollage au treuil. Suite à cet accident, Guillaume deviendra banquier, mais il n’a jamais abandonné l’idée de vivre sa passion à tout prix. Après quelques années de rééducation, il s’est vite remis au pilotage au sein du premier club en France à former des pilotes handicapés, l’aéro-club Paul-Louis Weiller aux Mureaux.

Guillaume, Dorine, même combat

C’est alors qu’il croise le chemin de Dorine Bourneton, célèbre ambassadrice du vol handicap, qui deviendra sa fidèle alliée et amie dans leur combat pour démocratiser l’accès des personnes handicapées à l’aviation. Ils se sont mêmes formés à la voltige ensemble en 2014 sur CAP 10. « Dorine est devenue mon infatigable locomotive. J’ai traversé toutes ses aventures. Développement des certifications d’avions adaptés, voltige, IFR, instruction, démonstrations en meeting, c’est grâce à elle et son combat au début des années 2000 que toutes ses portes se sont peu à peu ouvertes », témoigne ému Guillaume Féral.

D’instructeur avion à l’aviation commerciale, un parcours de combattant

Depuis gamin et malgré son handicap, Guillaume rêvait de passer tous types de qualifications aéronautiques. Il devra attendre 2012 pour commencer par celle d’instructeur PPL (pilote privé). « Jusque-là ce n’était pas vraiment ouvert aux pilotes handicapés. Il y avait eu trois expérimentations avec un pilote planeur et deux pilotes moteur. Et même une fois ma qualif en poche, j’ai du attendre avril 2013 pour la faire valider. Il n’y avait pas encore le feu vert de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) pour homologuer les avions adaptés pour l’instruction. » Une belle revanche pour celui qui aurait voulu faire une carrière de pilote professionnel.

Et c’est justement à l’ENAC, sur le terrain de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs près de Grenoble qu’il est parti se former avec un avion de son club, un PA-28 équipé de commandes manuelles surnommées aussi le « malonnier ». Ce dispositif simple et ingénieux permet à une personne paraplégique de piloter un avion en toute sécurité. Un seul manche permet de jouer sur tous les axes et ainsi contrôler le lacet, tangage et roulis.

Première qualification à Grenoble-Saint-Geoirs

« Je m’ennuyais de voler assis à droite le plus souvent comme passager. Puis j’ai aussi eu l’envie de transmettre. Alors je me suis lancé. J’ai suivi le module standard de cinq semaines. C’est ma première grande qualif. Ce fut très intense psychologiquement. Je n’en dormais pas la nuit. C’était un grand défi dans ma vie. Mais ce fut productif car j’ai tout réussi. » Guillaume a formé ses premiers élèves sur Rallye et Robin R2160.

Sa plus grande fierté d’instructeur : avoir délivré le brevet PPL à un certain Gilles Fournier, l’actuel directeur du salon international aéronautique du Bourget. L’an passé, Guillaume Féral a franchit un autre cap. Celui de passer l’ATPL (l’examen théorique de pilote de ligne avion), l’étape incontournable dans la vie de tout pilote professionnel…

Retour sur les bancs de l’école

C’est chez Aeropyrénées, à Toussus-Le-Noble que Guillaume a passé plusieurs mois à plancher sur la préparation des 14 modules que constitue l’examen qu’il a décroché en mai 2018. « J’ai travaillé 6 jours par semaine, entre 5h et 7H par jour, tout cela pendant 8 mois. A 58 ans, ce n’est pas aussi simple que d’apprendre à 20 ans… Mais je me suis accroché. J’ai réussi les 14 épreuves du premier coup sauf celle sur les performances que j’ai raté deux fois. » explique-t-il. Alors que l’on a droit à quatre tentatives par module au maximum avant l’élimination.

L’ATPL en poche, l’aviateur « non bipède » (comme il aime se qualifier parfois) débutera sa formation CPL (Pilote professionnel avion) fin septembre, toujours à Toussus-Le-Noble, cette fois sur Cessna 177RG. Il vise enfin l’IR (vol aux instruments) lorsqu’il reviendra de son tour du monde, avec pour objectif de devenir formateur dans un ATO (Approved Training Organisation). Avant lui, un autre pilote français handicapé a réussi un tel parcours, il s’agit de Philippe Carrette.

Un voyage de 80.000 km en dix mois

Le 18 novembre 2018, lorsqu’il s’envolera de Genève en Suisse pour un voyage dans les airs de près d’une année, APTL (et on lui souhaite le CPL aussi) en poche, Guillaume Féral sera bien armé pour cette aventure hors norme (40 pays et six continents).

Les deux CTLS ici au dessus du lac Léman partiront de Genève le 18 novembre prochain. © Handiflight

« Dans certains pays, on voit rarement ou jamais des petits avions se poser encore moins lorsqu’ils sont pilotés par des pilotes privés handicapés. Donc avec les barrettes sur les épaules, cela devrait aider à être plus crédible ! » précise-t-il avec le plus grand sérieux. Derrière ce projet baptisé « Handiflight Around the World », il y a l’association suisse « Handiflight » co-fondée par Daniel Ramseier qui organise chaque année à Gruyères le plus grand rassemblement au monde de pilotes handicapés.  Daniel était l’un des responsables sur la célèbre mission du Solar Impulse emmené par Betrand Piccars et André Borschberg. « Il a tout le savoir-faire nécessaire pour encadrer ce périple » précise Guillaume. Guillaume sera accompagné de Mike Lomberg, un sud-africain ancien pilote d’essai lui aussi paraplégique.

Deux CTLS à masse maximale

Chacun pilotera un CTLS, un avion ultra-léger, spécialement équipé de commandes manuelles et capable de voler jusqu’à 20 heures sans escale grâce à des réservoirs supplémentaires. Il faut pouvoir survoler sans difficulté l’immensité des étapes océaniques, au total 30.000 km se feront au dessus de l’eau.

Un périple de 80.000 km dont 30.000 km au dessus des océans © Handiflight

Chaque avion a été adapté au vol handicap pour grâce aux commandes manuelles ou « malonnier » © Handiflight

« Nous avons obtenu des dérogations auprès de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) pour l’ajout des réservoirs car chaque avion va peser 750 kilos (au lieu des 600 kilos autorisés sur ce type d’appareil). Il a fallu aussi faire certifier le malonnier sur le CTLS, cela nous a pris des dizaines d’heures. On n’en voyait pas le bout.»

Un Piper Comanche 250 (PA 24) les suivra pour assurer la liaison et transporter le matériel nécessaire (fauteuils roulants, bagages, pièces de rechanges pour les avions.)

Un message universel sur le handicap

Le but de ce périple est de sensibiliser les populations du monde et en particulier dans les pays émergents sur l’inclusion des personnes handicapées et combattre les préjugés dans nos sociétés. Guillaume et Mike seront rejoints et assistés sur des étapes intermédiaires par d’autres pilotes paraplégiques de dix nationalités différentes (Dorine Bourneton en fera partie), notamment en Australie et Amériques, ils voleront avec eux dans les CTLS.

« Cette fois, au lieu de réunir des pilotes handicapés au même endroit, nous irons à la rencontre des peuples autour du monde. Nous allons récolter des fonds pour le reverser à notre partenaire « Humanity & Inclusion » (ex Handicap International). C’est vraiment notre objectif principal ». Pour l’heure, le budget de cette formidable aventure n’est pas encore bouclé. Il permet tout juste de réaliser le périple jusqu’en Australie.

Jérôme Bonnard

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Jérôme Bonnard

Journaliste polyvalent, à la fois rédacteur et vidéaste, Jérôme a couvert tous types d'actualités pour la télévision en France comme à l'étranger et a été co-finaliste du Prix Albert Londres en 2012 pour sa couverture du conflit Libyen. Il est passionné par tout ce qui vole depuis son plus jeune âge et pilote sur ULM 3 axes. Il écrit pour Aerobuzz.fr depuis 2018, et co-anime la nouvelle émission JumpSeat sur Twitch, il travaille sur des nouveaux médias et enseigne le reportage vidéo en écoles de journalisme.

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  • Connaissant bien Dorine depuis longtemps, mais ne la voyant plus pour des raisons de celebrite exponentielle, je ne peux que conseiller a nos amis pilotes handicapes de rester dans la sphere de l aviation privee et de loisir, pour ne jamais etre malade, decus, desabuses ou ecoeures de leur passion de voler par la simple absortion repetee et obligee de la terrible soupe avariee de l aviation commerciale mutante. :)

  • Pour avoir eu la chance de faire connaissance avec Guillaume il y a quelques années je veux attester combien l'homme est attachant et force le respect. Bonne continuation à lui, je suis sûr qu'il effectuera un remarquable travail comme instructeur professionnel, et que les stagiaires se battront pour voler avec lui !

  • Une autre précision à l'attention de Jérôme Bonnard : il n'y a plus de FTO... Ce sont maintenant des ATO (Approved Training Organisation). Ah... l'Europe....
    Admiratif de la ténacité de ce personnage, surtout après un premier accident en phase de formation. D'aucuns auraient tout arrêté. Chapeau.

    • Merci pour votre message et de cette précision. Guillaume et moi sommes restés sur le terme FTO lors de notre entretien mais vous avez tout à fait raison il est mieux de mettre à jour les appellations européennes.

  • Réussir l'ATPL théorique à 60 ans, en dit long sur les capacités intellectuelles, et la volonté du bonhomme. Parce qu'à 60 piges, les circuits de la vigie ne fonctionnent pas avec la même fluence, qu'à 40, 30 ou 20 balais!.
    Immense!, Monsieur FERAL, et la suite du menu sera là pour nous le prouver définitivement.
    Concernant les handicapés, je pense que si l'on organisait la société, dans son intégralité, à leur faciliter accés et intégration au quotidien, au final les gagnants, ce seraient nous, les bien-portants.

  • Je fais part de mon admiration à Guillaume.
    J'ai perso un CTLS et je sais qu'il a choisi la bonne machine, qui vole droit, même en turbulence avec une autonomie exceptionnelle.
    Bon vent.

  • Je tenais à exprimer toute mon admiration à Guillaume, que j'ai eu le plaisir de rencontrer 2 fois, la 1ère à l'aéro-club de Deauville, où Dorine et 3 pilotes dont Guillaume étaient venus des Mureaux effectuer une démonstration de vol en patrouille.
    La seconde fois, c'était à l'occasion d'un meeting aéronautique à Morlaix, où Guillaume, parrain de la manifestation, était arrivé avec son chouette tagazou. Que de chemin parcouru depuis! Un énorme bravo à ce pilote dont j'ai pu apprécier l'intelligence vive et la détermination.

  • Bravo à Guillaume, mais rien ne me surprend venant de lui, ses capacités physiques et intellectuelles sont impressionnantes. Il a toujours été le fer de lance de la démocratisation du pilotage d'avion pour les handicapés. Dans les années 90, il n'hésitait pas à voler de Paris à Orange Plan de Dieu, pour participer à une journée de baptêmes offerts à des enfants handicapés. Deux autres pilotes paraplégiques nous avaient rejoints (Gilles Gonzalvez et Philippe Carette). A cette époque, je présidais l'aéroclub. Bravo aussi à Dorine Bourneton, que de chemin parcouru depuis Toulouse.
    Ce que ne dit pas cet article, c'est comment faire pour aider financièrement ce projet admirable de tour du monde et comment peut-on le suivre ?

  • Bel article et intéressant! Une micro précision, le Comanche 250 est un monomoteur. Ou alors c'est un Twin Comanche mais la puissance totale passe à 320 cv. Au choix :) .

  • Beaucoup de confusions et d'erreurs sur ce qu'est l'ATPL et sur ce qu'est un pilote de ligne dans cet article.
    Pour être pilote de ligne, il faut la partie théorique de l'ATPL (ce que Guillaume vient d'obtenir), mais aussi l'ATPL pratique, qui ne peut s'obtenir qu'en travaillant dans un compagnie aérienne.
    Le CPL (que Guillaume va passer) donne lui la qualité de pilote professionnel. Et c'est déjà admirable.

    • Et le jour où vous verrez un avion de ligne équipé d’un mallonier passez un coup de fil à Guillaume il se fera un grand plaisir à passer sa qualif machine!
      Votre commentaire n’a pas grand intérêt, l’article est précis et bien détaillé et vous pouvez féliciter Guillaume au passage et l’auteur, vos précisions sont absurdes et inutiles.
      Aucun paraplégique au monde ne peux passer son pratique car aucun avion de ligne n’est équipé.
      That’s all brother !

    • Bonjour, merci pour vos précisions. Nous allons corriger le titre afin d'éviter toute confusion. En revanche le contenu de l'article est bien clair sur la partie théorique APTL tout comme CPL (il est bien précisé qu'il s'agit de pilote professionnel avion).

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