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Aviation Générale

Les taxis volants rattrapés par un puissant vortex financier

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Gilles Rosenberger

Le trou d’air du chinois eHang en bourse. Une large redistribution des cartes chez les investisseurs de Joby au détriment de Toyota. Un fonds d’investissement luxembourgeois impliqué dans le rachat d’Ampaire (propulsion hybride en retrofit). L’ancien PDG de Boeing qui tente de fédérer des petits investisseurs. Lilium qui peine à lever plusieurs centaines de millions. Côté Mobilité Aérienne Urbaine, l’actualité est d’abord financière.
En début de semaine eHang, le constructeur chinois, a vu sa valeur chuter au NASDAQ de plus de 60%, après que Wolfpack, un cabinet d’analyse financière réputé ait dénoncé « une promotion boursière élaborée, construite sur des revenus largement fabriqués, basés sur des contrats de vente fictifs avec un client qui nous semble plus intéressé à aider à gonfler la valeur de son investissement dans la société« .

Wolfpack pointe des « ventes fictives » de l’eHang-216 (le drone biplace piloté à distance par un centre de contrôle), des autorisations temporaires de vol présentées comme des certifications, des comptes bancaires bloqués par les autorités, des usines fantômes (video en ligne)… Depuis, les dirigeants de eHang ont répondu, l’action a repris une dizaine de points et un cabinet d’avocats a lancé une action collective (class action) au profit des investisseurs qui ont perdu individuellement plus de 100.000 $.

Ainsi va la vie à New York !

eHang dans les turbulences, Joby dans le grand bleu

Dans un autre registre, Joby, le constructeur d’eVTOL le plus richement doté (plus de 800 M$, dont près de 400 M$ apportés par Toyota) fait l’objet d’une offre de rachat par un fonds dirigé par des fondateurs de Linkedin (réseau social professionnel) et de Zynga (éditeurs de jeux en ligne). Dans un montage complexe mixant un véhicule financier spécifique associant le grand public (SPAC « Special purpose acquisition company« , ou « société d’acquisition à vocation spécifique« ) et un appel à l’épargne public, les deux entrepreneurs annoncent apporter plus de 1 milliard $, valorisant ainsi l’entreprise à plus de 2 milliards $ (après augmentation de capital).

Joby est considéré comme étant le constructeur d’eVTOL le plus proche de la certification civile ; annoncée pour 2024. Calendrier surprenant ; sauf à imaginer des batteries extraordinairement plus fiables que celles connues et disponibles aujourd’hui.

Les investisseurs sur tous les fronts

Une petite compagnie aérienne californienne, Surf Air Mobility, vient d’annoncer son intention d’acheter 100% des parts d’Ampaire, la société qui développe des modifications (sous STC Supplemental Type Certificate) d’avions existants en les dotant de propulsions hybrides. Surf Air Mobility qui vient de lever plus de 200 M$ auprès d’investisseurs luxembourgeois (GEM), se propose de développer une activité de vols à la demande au profit d’une communauté de clients abonnés.

De son côté, Dennis Muilenberg, l’ancien PDG de Boeing monte un fond SPAC pour une cible « non publiquement identifiée » dans l’UAM. Il aurait déjà capté plus de 240 M$. Et le magazine économique Forbes fait état des nouvelles tentatives de levées de fonds de Lilium pour des montants de plusieurs centaines de millions d’Euros.

Les investisseurs sont-ils devenus fous ?

Pour tenter de comprendre ces mouvements, il faut considérer plusieurs niveaux d’analyse.

Tout d’abord, le manque de crédibilité et la lenteur des réactions des acteurs historiques créée un espace pour cette nouvelle aviation bas carbone. Pour mémoire Boeing et GE n’ont rien communiqué de tangible depuis plusieurs mois.

Ensuite, les investisseurs professionnels investissent au moins autant sur une équipe que sur un projet. Ils connaissent ainsi les brevets déposés, les maturités de briques technologiques en cours de développements ; autant d’informations dont ne disposent ni les observateurs, ni les supposés experts. Rendant ainsi pour le moins fragile l’analyse de l’opportunité de tel ou tel investissement.

Et enfin, dans un environnement économique où l’argent reste facile à emprunter, on a vu apparaitre ces dernières semaines un outil financier (le SPAC) qui permet aussi d’aller chercher l’épargne des petits investisseurs individuels. En partageant ainsi les futurs gains, les investisseurs professionnels ne sont probablement pas si fous : ils partagent aussi les risques. Et introduisent ainsi le risque d’une bulle.

Mise à jour du 25 février :  finalement Joby s’est vu doté de 1.6 milliards de $ et les négociations ont porté sur une valorisation de 6.6 milliards (après la fusion). Dans ce contexte, Toyota aurait réussi à conserver sa place d’actionnaire dans le premier rang.

Gilles Rosenberger

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Gilles Rosenberger

Gilles Rosenberger est ingénieur, entrepreneur et pilote privé (aile delta, planeur et avion monomoteur). A 30 années d’expérience dans l’industrie aéronautique « traditionnelle », Gilles ajoute une forte expérience dans la Nouvelle Aviation et ses efforts de décarbonation. Aujourd’hui son expertise est reconnue par Aerospace Valley, la BPI (il fait partie de son CERCLE des EXPERTS) et l’accélérateur Starburst (où il exerce comme MENTOR). C’est un collaborateur épisodique de plusieurs publications, dont Aerobuzz depuis 2019. En 2024, il fonde Neofuel pour libérer l’Aviation Générale de l’AvGas et lui ouvrir un avenir sans plomb, faiblement décarboné et avec un carburant significativement moins cher.

View Comments

  • Bonjour
    Par habitude je suis pour le progrès et pas pervers. Mais j'attend de voir l'incivilité terrestre accéder à l'espace aérien ! Le triste spectacle des piétons recevant sur la tête et ramassant les morceaux des OVNIP (objet volant non identifié parasite). Pour ma part, la COVID m'a montré le niveau de non respect des règles établies.
    Ouf ! je quitte la ville et part dans la France profonde ou les valeurs ne sont pas encore trop dégradées.
    Bon courage.
    Cordialement
    Michel BOUR

  • D'un point de vue technique, tous ces VTOL me paraissent extrêmement marginaux.
    Des calculs élémentaires montrent que, avec les capacités massiques des batteries existantes ou atteignables dans un avenir prévisible, l'énorme consommation en vol stationnaire limitera celui-ci à quelques minutes. Quid en cas d'urgence? De plus la configuration multi-rotor envisagée par la plupart de ces projets me parait très dangereuse, car une panne sur un seul rotor ne sera pas compensable et entrainera une perte de contrôle complète en vol stationnaire.
    Je rejoins donc bien l'opinion "piège à gogos" exprimée par plusieurs ici.

  • Tout ça me rappelle l'époque des VLJ (Very Light Jets) au début des années 2000...

    Vous vous souvenez d'Eclipse, dont les derniers soubresauts remontent à il n'y a pas si longtemps, de Safire et même du Mustang de Cessna ou du Phenom 100 d'Embraer. ? De tous ces projets de petits jets dont le ciel devait être noirci (Eclipse prévoyait une production de 1500 avions par an, Embraer 200 Phenom 100 par an !), seul le Phenom 100 est encore produit... 6 ont été livrés en 2020...

    Des milliards de dollars ont été engloutis dans ces projets qui avaient pu voir le jour grâce à la mise au point de petits moteurs par Williams, puis par Pratt & Whitney, mais il n'y avait tout simplement pas de marché pour ce type de produit.

    Les projets d'aéro-mobilité urbaine me semblent prendre le même chemin et ce d'autant plus qu'ils se heurtent à des obstacles techniques, réglementaires et d'acceptabilité que les VLJ n'avaient pas eu à affronter, eux qui ont tout de même disparu des écrans radar aussi vite qu'ils y étaient apparus...

  • Ce qui est certain c'est que ces taxis ne pourront fonctionner qu'en réseau et en mode "automatique".
    On va sûrement voir très prochainement ce genre de réseaux se généraliser pour des véhicules non-volants, parce qu'évoluer en deux dimensions est plus simple et moins incertain en matière de sécurité.
    Aussi parce que les véhicules "terrestres" automatiques existent déjà (Tesla).
    Prédire quand un tel réseau (aérien) sera exploitable est peut-être difficile aujourd'hui, par contre je ne vois pas comment on pourrait, un jour, y échapper (ou ne pas en profiter...).
    Dans le même temps, j'imagine que ces véhicules (terrestres ou volant) ne pourront jamais être utilisés de façon manuelle par des privés comme les conducteurs des actuelles voitures.
    Une nouvelle privation de liberté individuelle à apréhender, de nouvelles restrictions de l'espace aérien à prévoir (la couche zéro/500 ft neutralisée interdira le vol de nos jodels...au profit de ces drones de transport et de livraison de marchandise).
    Mais on commence à nous y habituer...les grenouilles seront cuites avant d'avoir compris qu'on allumait le feu sous la casserole !
    Le monde d'après....

  • Je ne serais pas étonné que tous ces projets de science fiction apparaissent un jour comme de vastes pièges à gogo pour ratisser les économies des investisseurs crédules. Quand on voit qu'il faut plus d'un an pour que les autorités de sécurité aériennes autorisent la reprise des vols d'un appareil quasiment "classique" comme le Boeing 737 Neo , qui vole avec 2 pilotes et des moteurs à kérozène , comment peut on croire qu' on verrait bientôt voler des myriades de taxis volants sans ailes , à moteurs électriques, qui voleraient sans pilote dans moins de 10 ans ? Dans le genre "aspirateur à économies des petits-porteurs" le Canal de Suez, le Tunnel sous la Manche, avaient au moins le mérite d'être réalistes et facilement appréhendables . Avec les taxis volants on est passé dans une autre ère, basée uniquement sur "du vent" , qui n'est pas forcément généré par des rotors électriques ,mais plutôt par des avides financiers retors ......

    • @ Thierry.
      Jusqu'à une date récente, point de petits porteurs potentiellement exposés.
      Quand Toyota investit 380 M$, nulle "veuve de Carpentras" exposée.
      D'ailleurs la class action lancée contre eHANG s'adresse aux porteurs qui ont perdu plus de 100.000 $. C'est à dire, pas vraiment tout le monde ...
      Cela risque de changer avec les SPAC, cet outil de financement qui déferle sur l'innovation (et pas uniquement de l'aviation).
      Par contre je pense que vous avez complètement raison sur les plannings annoncés et votre comparaison avec la remise en vol du 737 me semble pertinente dans les pays occidentaux. Peut-être un peu moins avec un pays sans grande culture aéronautique et fort demande d'image ... qui pourrait accorder des certifications ou des autorisations de vol dans des conditions questionnables.
      Volontairement, je n'ai cité personne !

      • Bonjour
        D accord pour les SPAC mais
        Je ne comprends pas votre position sur les pays occidentaux : n est ce pas l EASA qui est l autorité de certif qui sur ces propres critères a autorisé la remise en vol du MAX. Cette même EASA a défini pour les futurs eVTOL un cadre pour que Lilium, Volocopter... puisse développer leur projet. Est ce que pour vous ce cadre qui à ma connaissance n est pas encore traduit en bases de certif n est pas pertinent? Après y aura t il un marché et une acceptation par le immense majorité de la population qui ne pourra payer ce type de transport VIP est une autre histoire. Merci pour votre éclairage d' expert certif avion électrique.

    • Merci, Thierry.
      Je partage sans réserve votre position. On peut lui ajouter, également, les problèmes immenses de circulation « aéro-urbaine », verticale et horizontale, qui se poseraient dans le cas d’une mise en place d’un « réseau » efficace avec des « stations » qui desserviraient le plan horizontal au niveau des immeubles, voire même plus haut (et dans ce cas, des problèmes fonciers à envisager pour autoriser des circulation exogènes). Pour résumer, il me semble que l’on raisonne aujourd’hui en termes aviation et financiers, mais absolument pas en termes urbanistiques et privatifs.

      • Pas du tout d accord avec vous, il y a en France une multitude d Aérodromes aux abords des villes qui sont soit à la peine, soit condamnés par les écolos et autres résidents qui veulent tondre tranquille, soit convoités, pour ne pas dire condamnés par les pouvoirs publics et autres financiers, et qui plus est abandonnés par leurs propres féderations ! Quel malheur, de voir disparaitre ces beaux dimanches au bord des pistes herbées a regarder les Paras, les radio commandes, les jodels et autres , les hélicos, les baptemes de l air....c était avant , et demain on recréra des passions et des zones pour les news aéro vtol, stol.... on dira c est tres bien ....Merci à vous tous .

      • ... Correction inachevée...
        ... et on oublie le foncier, au sol qui, en milieu urbain, risque d’être particulièrement insurmontable ! Quand on sait ce qu’il en a couté - et en coûte toujours - au TGV pour traverser des pâturages, on imagine mal une mise en service prochaine...

    • Exact, tous ces "projets" de sience fiction vont retomber comme un souffle au fromage. En parlant de fromage, il faudrait peut etre se souvenir de la fable du corbeau et du renard avec les investisseurs dans le role du fromage ...

  • Il va falloir en vendre des unités pour amortir tous ces investissements et à quel prix ! A moins que ce ne soient purement que les coups financiers. Je dis ça, je dis rien...

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