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Défense

A propos d’Hercules…

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Hervé Gouinguenet

2019 va fêter un anniversaire peu courant : celui d’Hercule ! Il ne s’agit pas du héros grec, mais du C-130, l’avion américain, né il y a juste soixante-cinq ans. Il effectua son premier vol le 23 aout 1954.

1954-2019. Si cela semble peu, comparé à l’immortalité du héros grec, une telle durée de vie est exceptionnelle pour un avion, d’autant que son constructeur, la société Lockheed, (devenue Lockheed Martin entre temps) continue de le produire sans discontinuer. La chaine de montage de l’usine de Marietta en Géorgie est la plus ancienne n’ayant jamais été interrompue.

Hercule avait été doté par son père Zeus d’une force immense, afin de pouvoir aider et défendre les hommes et les dieux. L’avion «C130 Hercules » (avec un « s ») fut conçu au début des années cinquante comme avion de transport militaire tactique. On ne savait pas encore à quel point il serait proche du vieil Hercule de la mythologie, capable d’exécuter douze travaux et toutes les corvées !

C-130 Hercules : un cockpit vitré comme un hélicoptère pour une visibilité maximale. © Lockheed-Martin

Kelly Johnson sceptique

Même le directeur technique de Lockheed, le fameux Kelly Johnson, ne croyait pas trop à la formule et pensait qu’il serait difficile à vendre.  Gros quadrimoteur pataud taillé à coups de serpe, il possédait un plancher au ras du sol, pour remplir son énorme soute et toutes sortes d’équipements et d’astuces alors inédits pour remplir sa mission : livrer des charges près des zones de combats.  Matériels, véhicules, munitions, fantassins, parachutistes :  tout ce qui pesait jusqu’à vingt tonnes y prenait place.

On pouvait le modifier à la demande avec des sièges, caissons, palettes, réservoirs, équipements spéciaux. Entièrement pressurisé, il possédait un groupe électrogène indépendant (l’APU, inédit à l’époque) un plancher à roulements pour faire glisser les charges, un cockpit vitré comme un hélicoptère pour une visibilité maximale, des hélices à vitesse constante réversibles, des commandes assistées, etc.

Charlie One Thirty

Deux choses firent particulièrement le succès de l’engin : quatre puissants turbopropulseurs et d’énormes roues tous terrains. Le Hercules pouvait comme un 4×4, se poser n’importe où, sur des distances très courtes, entre 300 et 500 mètres :  dans l’herbe, le sable, la boue, la neige et même sur les lacs gelés. Il pouvait ensuite redécoller rapidement, même très enlisé, grâce à ces moteurs surdimensionnées de 16.000 cv au total et effectuer ses missions avec un moteur en panne.Pour information, un TGV de 400 tonnes développe « seulement » 12500cv  et le Noratlas français,  bien plus petit, mais  prévu pour le même usage ne disposait que de 4000cv…

Le C-130 Hercules, l’avion polyvalent par excellence. © Lockheed-Martin

Les pilotes américains toujours un peu cow boys, adoraient cet engin surpuissant vite surnommé « Charlie One Thirty » capable de toutes sortes d’exploits. On dit que leurs femmes étaient même un peu jalouses de cette passion suspecte.

Il montra des qualités inhabituelles :  grande robustesse, fiabilité des turbines, et capable de faire des choses improbables, comme de pénétrer directement dans un cyclone ou de se poser et redécoller d’un porte avion sans crosse et sans catapulte, malgré ses cinquante tonnes !  Il pouvait voler plus haut que les jets et même effectuer quelques figures de voltige. Une patrouilles de quatre Hercules apparut en 1956 dans les meetings aériens :  les « Four Horsemen » qui volaient en formation serrée comme des chasseurs au grand étonnement des spectateurs.

Angel of Mercy

Au début, le C130 était destiné à l’armée américaine, mais devant l’éventail de ses possibilités, d’autres pays s’y intéressèrent, soixante en tout aujourd’hui, dont la Grèce, spécialiste incontestée en héros mythiques.  Lockheed réalisa aussi une version civile :  le L100, un camion volant faisant le travail de dix poids lourds, alimentant des villes minières ou des puits de pétrole en Alaska ou des autoroutes au Pérou.

Le Hercules pouvait tout faire : les missions militaires tactiques mais aussi effectuer des transports en zones difficiles, ravitaillement en vol, garde-côte et secours en mer, expéditions polaires, tropicales, évacuations sanitaires, hôpital volant, station météo, bombardier d’eau, récupérateur de satellites, chasseur de sous-marins, travaux agricoles, relais de télévision, largueur de drones …

C’est alors qu’on pensa à l’utiliser pour le ravitaillement de zones sinistrées, ou l’évacuation de populations comme au Rwanda, au Népal ou en Indonésie.  Il devint l’avion fétiche des missions humanitaires de l’ONU et des autres ONG, qui le surnomment « Angel of Mercy ».

Sur tous les fronts

En 1964, 12 Hercules américains transportèrent des commandos belges, permettant de sauver 2.000 otages au Congo, dans des conditions dramatiques.  En 1992, c’étaient encore les Hercules de 22 pays différents qui firent le pont aérien sur Sarajevo, transportant en Bosnie 160 millions de tonnes de ravitaillement en trois ans !

On se souvient bien sûr du raid effectué en 1976 par l’armée israélienne pour récupérer les otages d’un avion détourné en Ouganda. Plus aucun point du globe n’était désormais inaccessible. Ces avions donnaient aux troupes d’intervention rapides des capacités jamais vues auparavant :  celles de se poser au milieu de combats lointains et d’en repartir, n’importe où, nuit et jour.

Souvent copié, jamais égalé, le Hercules porte bien son nom. © Lockheed-Martin

Le Hercules avait connu son baptême du feu au Vietnam où il fut mis à toutes les sauces et même équipé de gros canons, mais surtout, ravitaillant les zones de combat et évacuant les soldats blessés ou tués. Les équipages se nommaient eux-mêmes « camions poubelles » !

Transport de masse

Un C130 redécolla avec une roue arrachée, tous les réservoirs de l’aile gauche crevés, le cockpit éclaté et 104 impacts d’armes un peu partout. Il rentra pourtant à sa base avec 150 GI’s évacués.  Quand ils embarquaient dans un Hercules, les soldats savaient qu’ils avaient de bonnes chances de rentrer chez eux.  Eux aussi adoraient le gros « Charlie ».   Sollicité jusqu’à ses plus extrêmes limites, toujours en surcharge, il fut cité par un général comme le seul équipement américain irremplaçable ! Les équipages furent souvent médaillés.  Cela ne suffit pourtant pas à changer l’issue de la guerre au Vietnam.

Un Hercules fut le dernier avion à quitter Saigon encerclée. L’aérodrome était déjà sous le feu ennemi et le pilote décida d’embarquer tous ceux qui restaient sur place.   Normalement, il pouvait charger 92 passagers.  Ce jour-là, 452 personnes montèrent à bord, serrées debout jusque dans le poste de pilotage…

Le Hercules décolla de justesse. Un des jeunes passagers, Tim Nguyen, fit le serment que s’il survivait, il apprendrait l’anglais pour aller travailler chez le constructeur de cet avion providentiel.  Réfugié ensuite aux USA, il réalisa son vœu et fit carrière chez Lockheed.

Super Hercules

Aucun autre avion n’a été capable d’effectuer autant de missions différentes. Au fil des années, il a gagné en puissance, en charge utile, en autonomie, en volume. L’évolution a aussi concerné les systèmes et l’avionique. La dernière version C130J « Super Hercules » possède un glass cockpit et un système de gestion de vol informatisé dont les calculateurs sont basés sur ceux du chasseur F22 Raptor !

La France l’utilise depuis longtemps.  Les Hercules français avaient déjà réalisé 100.000 heures de vol sans aucun incident entre 1987 et 2001.   L’armée de l’air a dû en racheter en 2018, pour épauler l’Airbus A400M son remplaçant annoncé, incapable d’effectuer certaines opérations.

Le C-130 fit souvent des apparitions au cinéma. On l’a même vu exfiltrer James Bond au bout d’un câble tendu par un ballon. Ce n’est pas que du cinéma. Le système, inventé pour récupérer les astronautes et les naufragés, sert aussi pour les forces spéciales dans la version la plus agressive du Hercules, le C130 SOF.

Souvent copié, jamais égalé, le Hercules porte bien son nom. Il a effectué bien plus que les douze travaux du héros antique, avec un record de sécurité rarement égalé. Il a pu réussir tout ce que l’aviation de travail du vingtième siècle lui avait demandé et même souvent davantage.

Avion rustique et increvable, modernisé régulièrement avec intelligence, sa carrière semble pouvoir se prolonger pendant une cinquantaine d’années dans ses nouvelles versions, ce qui ferait de lui un héros presque immortel, tout comme son mythique ancêtre.

Hervé Gouinguenet

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Hervé Gouinguenet

Hervé Gouinguenet est pilote et tête en l'air depuis très longtemps. Surtout passionné par la conception et le design des avions et des véhicules rapides, l'histoire des techniques est son domaine. Il a enseigné le design et collaboré avec le magazine "Volez". Hervé a publié des romans sur l'aviation russe, des ouvrages variés sur l'aéronautique et se spécialise aujourd'hui sur l'évolution des gros porteurs et les mutations de l'aviation du proche futur.

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  • Quelqu un pourra peut etre confirmer ou infirmer , si ma memoire ne fait pas defaut, les cellules d helicopteres "Pumas" pouvaient etre charges a bord des" Transall " et non pas sur "Hercules" a cause du gabarit de la soute legerement plus etroit sur "Hercules".

  • Bonjour,
    Il n'y a pas que des militaires qui ont utilisé le C 130 ou L 130 dans ses différentes versions. A ma connaissance, en particulier la compagnie sud africaine SAFAIR en utilisait au moins une vingtaine d'exemplaires dans les années 70 et suivantes... En France même, en 1980, donc plusieurs années avant l'Armée de l'Air, une version civile du L 130 a été certifiée 'transport civil de fret" afin que la cie charter de transport de fret SFAIR (basée successivement à Nantes, puis Bordeaux, puis Marignane) l'utilise quelques années... avant de passer sur Douglas DC 8.
    Pour avoir volé - en tant que CDB - tant sur Breguet 941, Transal que Hercules... je trouve étonnant... pour ne pas dire ridicule ... de vouloir faire des comparaisons sur le plan technique entre ces trois appareils.

    • Pardon M'sieur ! En évoquant le 941, je ne parlais pas des performances techniques de puissance, etc... mais de celles réalisables en pilotage.
      Quant à traiter de "ridicule", merci !
      Ch'ui pas CDB de gros z'avions, mais ai quand même une expérience professionnelle (retraité) dans le milieu.

    • Mr Guibert.C'est complètement mon avis,et je serais ravi de pouvoir échanger avec vous, si vous avez eu la chance de piloter ces trois appareils. Je travaille sur un projet de livre sur le C130, vos connaissances me seraient vraiment précieuses. un échange de mails? HG ( auteur de l'article)

      • J'ai travaillé 4 ans sur les C130 pour faire des modifications majeures et eu l'opportunité de rencontrer certains de ceux qui sont à l'origine de ce programme. Disponible pour en parler

    • Bonjour,
      Avec son train principal constitué de deux diabolos de roues de chaque côté, le Transall offrait (et continue d'offrir...) de bien meilleures qualités "tout terrain" que le Hercules. Pour son malheur, le Transall n'a jamais été remotorisé alors qu'entre le C-130A et le C-130J, le Hercules a gagné 25% de puissance... Elle est longue la liste des avions français qui auraient mérité un peu plus de puissance....

      • Tout à fait d'accord avec Fréderic, on compare dans les commentaires des choux et des carottes, moi qui sors de Gamvert, je puis vous dire que le Transall est le produit de son époque,
        en 1960 on ne voulait pas effectuer de longues missions. On voulait un avion rustique et performant, capable de se poser et d'atterrir court sur des terrains sommaires en Europe pour contrer les hordes soviétques en période de guerre froide. Le C130 c'est la taille au dessus avec des moyens et un budget ...XXL américains. Pour ce qui est de la puissance, oui c'est un mal français, Jaguar, Mirage F1 en ont hélas beaucoup souffert aussi...

      • C'est vrai qu'il est tentant de comparer les trois avions cités: Bréguet 941, Transall et Hercule. Mais hormis l'allure générale, ils n'étaient pas vraiment dans la même catégorie: 26, 50 et 70 tonnes, ( premières versions) et des puissances de 5000, 11000, et 16000cv! Le 941 était un démonstrateur avancé, sorti bien après le Hercule et le Transall une machine de transport rustique, sans ambitions extrêmes comme le C130. Quand à la puissance, on sait combien les américains aiment les gros moteurs et les engins qui en imposent. Dans ce domaine, il est difficile de les supplanter. Le C130 peut décoller à pleine charge avec un moteur arrêté et voler en patrouilles longues sur deux moteurs pour augmenter le temps de vol... Difficile à faire avec un bimoteur, ce qui ne retire rien aux autres qualités du Transall.

      • Oui pour avoir voler avec en tant que pax et non parce que je ne suis pas un specialiste de cet appareil sous motorise mais qui etait a son epoque une revolution par rapport au Nord Atlas sur lequel j'ai aussi vole (pax). On peut se fier au volume de production des 2 appareils pour se faire une idee.

    • Et l'Hercule n'est-il pas la pâle copie du Bréguet 941 qu'on voyait, en 1965, se poser (quasiment) travers piste à Villacoublay . Vu de la Tour : impressionnant !

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