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Défense

Destination Djibouti : dans la chaleur de l’hiver

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Frédéric Lert

La mission Shikra bat son plein et treize avions de combat sont à présent rassemblés sur le parking de la BA188 et dans les alvéoles environnantes. Une fois de plus, l’Armée de l’air et de l’espace (AAE) a fait la preuve de sa capacité à se déployer vite et loin, et dans la durée. Tous les pions sont en place pour que débute la partie.

Midi. Les équipages de Rafale et de Mirage ont signé les « formes » au bureau de piste et font une chose incroyable : ils délaissent le minibus et partent à pied vers leurs avions ! On est en plein hiver, le soleil est à la verticale des installations mais son agressivité est contenue.

La chaleur est présente mais tolérable, adoucie par une petite brise venue de la mer. Les 200 ou 300m qui séparent le bureau de piste des alvéoles sont franchis sans peine.

Dans quelques semaines ou quelques mois, quand les températures tutoieront les 50°C à l’ombre, la simple traversée du parking à pied sera une torture.

Les chasseurs de l’exercice Khamsin sont abrités du soleil, installés dans des demi-tonneaux entourés de merlons. La piste est à portée de caillou et peut être rejointe en quelques secondes. Les installations sont à l’image de la posture des 1.600 militaires des Forces Françaises stationnées à Djibouti (FFDJ) : entre paix et guerre, entre entraînement et OPEX. Une zone grise qui fait que les militaires se tiennent toujours prêts à l’engagement et que sur la BA188, les obus bons de guerre des Mirage ne sont jamais très loin des caissons.

Dernier briefing avant le départ en vol. Les scénarios de l’exercice Khamsin faisaient intervenir les avions aussi bien au-dessus de la terre ferme que de la mer. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Visite avant vol pour ce pilote du 1/2 « Cigognes », présent à Djibouti le temps de l’exercice. Les avions du « Corse » sont codés « 188 », numéro de la base aérienne. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Pour les équipages venus de France, Khamsin a commencé par un vol de familiarisation. Découverte du territoire et des procédures, familiarisation avec les zones d’entraînement et le seul terrain de dégagement possible, Chabelley, confié à la France par les autorités djiboutiennes.

Chabelley, c’est une piste de 2.400m et un parking bien étroit, dont la capacité limite de facto le nombre d’avions pouvant être mis en l’air simultanément sur le territoire. Il faut qu’en cas de piste indisponible sur l’aéroport international, tous les avions qui seraient en vol puissent venir s’y poser sans avoir à chercher leur salut en dehors des frontières du pays !

En provenance de France, ce C-135FR a été envoyé à Djibouti pour participer au « démontage » de l’exercice Khamsin. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

12h30. Les visites pré-vol sont finies. Les pilotes se sont installés dans leurs machines et la voix grave des M53 et le sifflement des M88 se font entendre. A la tour, les contrôleurs de circulation aérienne et ceux de défense aérienne de l’AAE sont déjà à leur poste. « L’espace aérien est djiboutien et nos collègues djiboutiens arment les postes de l’approche et des mouvements sol » explique la sergent-chef Pauline, contrôleur de circulation aérienne. « Mais quand les chasseurs français volent, nous prenons le relais pour les intégrer dans le trafic civil, au départ comme au retour ».

Les Mirage 2000-5 et Mirage 2000D, dignes représentants de l’ancienne génération d’avions de combat, ont encore toute leur place dans un cadre d’emploi djiboutien. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

A noter que la France joue également un rôle de coordinateur de l’activité aérienne militaire internationale. Elle reçoit et intègre chaque jour les activité prévisionnelles des différents acteurs et produit une feuille des vols ou « flowsheet », c’est à dire une organisation de l’activité aérienne militaire internationale approuvée par les autorités Djiboutiennes et qui attribue à chacun des créneaux horaires et des espaces aériens.

Pendant les vols d’entraînement, les évolutions de la chasse française se font également sous la surveillance des contrôleurs de défense aérienne. La France dispose de deux radars Centaure, dont un gardé en réserve, permettant de surveiller le ciel dans un rayon d’environ 80 nautiques autour de l’aéroport international.

En bord de piste, les deux sous-officiers de la section de prévention du péril animalier (SPPA) se sont mis en place, comme pour chaque décollage et atterrissage des avions français.

Les deux militaires sont les seuls spécialistes présents sur l’aéroport de Djibouti et il leur arrive également d’intervenir au profit des compagnies aériennes. A l’arrière de leur 4×4, une grosse mallette rassemble leur équipement qui va du pistolet lance-fusée au fusil pour effaroucher les oiseaux, principalement des corbeaux. Parfois même des chiens arrivent à se glisser sous le grillage de ceinture…

12h45, début du roulage. Les avions quittent l’ombre protectrice de leurs abris. La climatisation des Mirage et des Rafale autorise le roulage verrière fermée. Sur les générations précédentes d’avions de combat, il fallait rouler verrière ouverte pour ne pas étouffer… En plein été, le risque de déshydratation était tel qu’une mission pouvait même être annulée en cas de trop longue attente sous le soleil.

Pendant Khamsin, deux missions sont organisées chaque jour. La première, le matin ou en milieu de journée, est vue comme relativement simple. Elle se fait sans ravitaillement en vol et ne dépasse pas 1h45, avec comme objectif de contribuer à l’aguerrissement et la préparation opérationnelle des jeunes pilotes et navigateurs de combat. Il s’agit pour certains de leur premier déploiement hors de France, avec à la clef la découverte du travail en zone désertique.

Départ en vol de nuit pour cet équipage de la 4ème escadre de chasse de St Dizier. Le Rafale est le probable successeur du Mirage 2000-5 à Djibouti quand le monoréacteur sera retiré du service, avant 2030. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Le savoir-faire nocturne des équipages français est à ce jour sans équivalent dans la région. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Les missions de l’après-midi ou du soir se veulent plus complexes, avec une dizaine d’appareils engagés et des phases de ravitaillement en vol. « Les scénarios se font plus touffus et on touche un peu du doigt le combat de haute intensité, dans la mesure de ce que l’on peut faire avec seulement une dizaine d’appareils en l’air » explique un participant.

Défense aérienne, bombardement, pénétration, récupération d’un pilote abattu et même simulation de l’emploi de missiles de croisière… : les scénarios d’engagement sont très divers, avec des zones de combat autorisant des vols en basse altitude à grande vitesse.

Les possibilités offertes sont meilleures qu’en France, même si certains éléments, comme la hauteur minimale d’évolution, sont soumis à l’approbation des autorités djiboutiennes.

Signe discret de l’importance de l’exercice aux yeux de l’AAE, les Rafale de la 4ème escadre de chasse sont venus avec une nacelle de désignation laser Talios de nouvelle génération. En cours de livraison dans les forces, celles-ci sont très demandées par les unités, tant pour équiper les OPEX (et le départ en opération du Groupe Aéronaval ajoute de la tension sur l’emploi de ces équipements) que pour les entraînements dans les escadrons en métropole.

14h20. Retour des premiers avions, avec une arrivée en formation et un break à la verticale de la piste. Une demi-heure plus tard, les équipages se retrouvent pour débriefer le vol. Trois collaborateurs de la société Synapse sont venus à Djibouti pour participer à l’animation des missions, à leur conduite et à leur analyse. « Les équipages apprécient l’intensité des scénarios » souligne le Direx (directeur de l’exercice). Les trois types d’avions ont joué alternativement les rouges et les bleus.

Entretien du moteur M53 sur ce Mirage 2000D. Les détachements de passage à Djibouti peuvent s’appuyer sur la mécanique du 3/11 Corse, une équipe resserrée mais qui connait le Mirage sur le bout des doigts. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Les Mirage 2000D ont participé à des raids simulés de missile de croisière SCALP, ils ont joué les plastrons pour saturer les défenses. Les Mirage 2000-5 ont la double casquette, avec une dominante air-air et missiles MICA, mais également une capacité air-sol avec bombes et canons.

Le retrait des Mirage 2000C étant prévu en juin prochain, les « -5 » seront pour quelques années encore les derniers avions Mach 2 de l’AAE.  Equipé de missiles MICA couplé au radar RDY, l’avion affiche de bonnes capacités air-air, mais les cellules sont anciennes.

A l’horizon 2027-2028, le retrait de service des Mirage 2000-5 devrait se traduire par l’installation permanente de quelques Rafale à Djibouti.

Les biréacteurs seront à leur aise dans la région, avec un club d’utilisateurs qui s’est bien étoffé ces dernières années !

© Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

L’exercice Khamsin s’est terminé le 27 janvier et les chasseurs de passage sont repartis vers la France, qui vers Luxeuil, qui vers Nancy ou Saint Dizier. Deux Rafale accompagnés d’un Airbus Phénix ont fait exception en prenant le chemin de l’Egypte pour ce que l’AAE appelle une « escale valorisée » : l’occasion d’enchaîner une poignée de missions avec les Mirage 2000, MiG29 et Rafale égyptiens.

Le jour du « démontage » de l’opération, pas moins de trois ravitailleurs de l’AAE, deux Phénix et un Boeing, sont réunis sur le parking de l’aéroport international de Djibouti. Un bon symbole de la prise de pouvoir des Airbus au sein des Forces Aériennes Stratégiques et de l’effacement rapide des Boeing.

Une fois les aviateurs français de l’exercice Khamsin rentrés en métropole, la BA188 a retrouvé sa routine. De l’autre côté de la piste et au-delà de l’aéroport, Américains et Chinois, présents en nombre, ont repris leur face à face…

Frédéric Lert

A suivre…

 

 

 

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

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