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Défense

Les King Air 350ER de la Douane descendus en flamme par la Cour des Comptes

Published by
Gil Roy

Dans son rapport 2017, la Cour des Comptes met en lumière l’incroyable incompétence de la Douane à remplacer ses 15 Cessna F406 par 7 Beechcraft King Air 350ER, des avions qui ne seront opérationnels, au mieux, qu’en 2019, soit huit ans après la livraison du premier. Sur les 17 pilotes qualifiés 3 sont déjà partis en retraite sans avoir pu rendre de service. Histoire de limiter la casse, la Cour des Comptes qui évoque « une autarcie délibérée », recommande à la Douane d’externaliser la maintenance des King Air 350ER qui ont déjà coûté 117 M€ sans qu’aucun ne soit opérationnel. Sauf que la Cour des Comptes ne dit pas tout…

L’histoire des King Air 350ER de la Douane française est un incroyable feuilleton qui anime les discussions des ateliers de maintenance aéronautique depuis pas mal d’années maintenant. La Cour des Comptes vient de le rendre public. Le bilan qu’elle dresse de cette affaire est, comme souvent, affligeant.

« Une autarcie délibérée »

L’affaire  (le mot n’est pas usurpé) débute en 2004 quand la Douane engage une réflexion pour remplacer sa flotte de quinze bimoteurs F406 Cessna par des avions plus modernes, plus performants mais en nombre moindre (il était prévu d’en acquérir huit à l’origine). D’entrée, la Cour des Comptes souligne que « malgré son importance (…) ce programme n’a fait l’objet d’aucune décision formalisée, que ce soit au niveau ministériel ou interministériel, ni sur son principe, ni sur ses modalités de mise en œuvre ».

La Douane a opté pour le King Air 350ER de Beechcraft, capables de remplir les deux fonctions actuellement assurées par les Cessna (surveillance maritime et surveillance de la pollution maritime). Ils sont censés embarquer une série d’équipements : radars, boule optronique équipée de caméras haute définition et infrarouges, scanner, moyens de communication par satellite et différents systèmes d’aide à la décision. Et c’est là que l’affaire se corse…

Mise en garde de la DGA

« Bien qu’elle ait consulté la direction générale de l’armement (DGA) au début de ce processus, en 2004, la Douane n’a pas tenu compte de ses avertissements concernant la complexité de son projet ». La DGA avait notamment souligné le fait que l’intégration des équipements techniques nécessaires était susceptible d’occasionner des risques de dysfonctionnements, à la fois de ces équipements mais aussi de l’avion lui-même, en raison des interactions possibles entre les équipements et le système de commande de vol.

En 2009, la Douane a finalement choisi de conserver la maîtrise d’ensemble de l’opération en confiant à la DGA le soin d’acquérir les appareils non équipés, et en se réservant le soin d’acquérir elle-même et de faire intégrer sous sa responsabilité exclusive les divers équipements dont ces appareils devaient être dotés.

En raison des contraintes de disponibilité des crédits budgétaires, le premier appareil a été réceptionné en janvier 2011 et le septième et dernier appareil, le 10 mars 2015. Une option court toujours sur le huitième.

Intégration hasardeuse

« Les principales difficultés, encore non résolues à ce jour, sont nées des opérations d’intégration des équipements que la Douane avait entendu mener seule. », constate la Cour des Comptes. Les problèmes sont liés selon elle au « choix de ne pas recourir à un intégrateur unique, qui aurait eu la responsabilité de la bonne fin de ces opérations et de contracter avec trois partenaires différents que l’administration n’avait pas la capacité technique de coordonner ».

En novembre 2016, aucun des sept King Air 350 n’était opérationnel pour les missions auxquelles ils étaient destinés faute d’être équipés. Apparemment, ils ne le sont toujours pas… « L’intégration des équipements de lutte contre la pollution se heurte toujours à des difficultés importantes, et aucune solution viable n’a été trouvée permettant à un appareil ainsi équipé d’obtenir son certificat de navigabilité. Il est même envisagé de ne pas utiliser les équipements de lutte contre la pollution pourtant achetés pour plus de 10 M€ ».

En fait, ce que ne précise par le rapport de la Cour des Comptes est que l’antenne Polmar de détection de la pollution maritime mesure 4 mètres de long et pèse 70 kg. Elle doit être montée de part et d’autres du fuselage, ce qui a pour conséquence d’occulter les prises statiques de l’avion. Déplacer ces prises entrainerait un lourd dossier de certification avec à la clé des essais en vol au CEV. Inenvisageable. 10 M€ gaspillés.

La Cour des Comptes déplore que la Douane ait acquis la totalité des divers équipements destinés à être montés sur les Beechcraft, sans attendre les résultats de l’intégration des équipements sur un premier appareil.

Des pilotes formés pour rien

En l’état actuel de chantier d’équipement de sa future flotte aérienne, la Douane prévoit que les derniers appareils qui pourraient être équipés avec les deux systèmes ne seraient pas opérationnels avant 2019, « soit huit ans après la livraison du premier », souligne la Cour des Comptes qui fait remarquer que dans l’intervalle, « la Douane doit gérer et entretenir deux flottes : celle des anciens appareils Cessna qui restent opérationnels mais dont le nombre diminue et celle des nouveaux Beechcraft qui peuvent voler, mais sans utilité opérationnelle puisqu’ils ne sont pas équipés des systèmes de surveillance leur permettant d’accomplir leurs missions ».

Sur les 17 pilotes formés sur Beechcraft, 3 sont déjà partis à la retraite à ce jour, sans avoir pu rendre de services. Soulignons aussi qu’à la Douane, les pilotes ne peuvent pas posséder deux qualifications de types, ce qui offrirait pourtant un peu de souplesse.

Des conclusions qui s’imposent

Au total, sur 133 M€ engagés depuis 2010, 117 M€ avaient déjà été réglés en 2016, sans qu’aucun appareil ne soit encore opérationnel, alors que le premier avait été livré en janvier 2011. S’ajoutent à cette somme les coûts de maintenance des appareils livrés et les dépenses pour les formations devenues inutiles.

Pour la Cour des Comptes, il ne fait aucun doute que la Douane a surestimé sa capacité à gérer un dossier aussi pointu. Outre les conséquences financières, « ces défaillances compromettent la réalisation de missions interministérielles, notamment en matière de lutte contre les pollutions maritimes ».

La Direction de la Douane est fortement encouragée par la Cour des Comptes à ne plus jouer seule dans son coin. Elle est invitée à externaliser sa maintenance, comme le font d’autres services de l’Etat.

Epilogue provisoire

Ce rapport accablant oublie de préciser un point crucial. Reims Aviation qui avait fourni autrefois les F406 aux douanes françaises, n’a pas accepté d’être écarté du marché de renouvellement de la flotte de la Douane. En guise de lot de consolation, elle a obtenu le marché de l’équipement des King Air 350ER, un avion que le constructeur ne connaissait pas. Les élus locaux qui ont pesé sur cette décision n’ont, évidemment, pas pris ce paramètre en ligne de compte.

Faute de réunir toutes les compétences, Reims Aviation est allée les chercher ailleurs, d’une part chez ASI Innovation, bureau d’études également implanté à Reims, d’autre part chez Atlantic Air Industries (titulaire du contrat de maintenance des F406 de la Douane), venu en soutien d’ASI Innovation. D’où le montage à trois fournisseurs dénoncé par la Cour des Comptes.

Entre temps, Reims Aviation a été placée en redressement judiciaire et a été reprise en 2014 par ASI Innovation, associé à Continental Motors, filiale du groupe chinois AVIC. 18 mois plus tard, ASI Innovation a repris Atlantic Air Industries, mise en redressement judicaire le 11 juin 2015 par le Tribunal de commerce de Toulouse.

Le feuilleton des King Air 350ER de la Douane devrait réserver d’autres rebondissements. A suivre…

Gil Roy

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Gil Roy

Gil Roy a fondé Aerobuzz.fr en 2009. Journaliste professionnel depuis 1981, son expertise dans les domaines de l’aviation générale, du transport aérien et des problématiques du développement durable est reconnue. Il est le rédacteur en chef d’Aerobuzz et l’auteur de 7 livres. Gil Roy a reçu le Prix littéraire de l'Aéro-Club de France. Il est titulaire de la Médaille de l'Aéronautique.

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  • Communiqué de presse : Michel Sapin et Christian Eckert saluent les bons résultats de la douane pour 2015 - 17/03/2016
    [www.economie.gouv.fr - PDF - 206 Ko]
    " C’est en bonne partie grâce aux mesures mises en oeuvre par la douane que la France occupe le premier rang dans le classement mondial Doing Business de la Banque mondiale, pour ce qui touche au commerce transfrontalier...."Douane 2018 et des moyens exceptionnels déployés par l’État pour appuyer l’action de la douane contre le terrorisme, ils sont un maillon essentiel des forces de sécurité du pays et un atout pour sa compétitivité.

  • Oui, c'est catastrophique! Je n'ose imaginer à quoi va servir mon premier tiers provisionnel!...J'admire les responsables d'aeroclub mais je ne les envie pas. Quel boulot! Chapeau!

  • Deux des partenaires du projet ont fait faillite (Reims Aviation et Atlantique Air Industrie) qui ont tous les deux étaient repris pas ASI. Ce qui a entrainé beaucoup de retard dans la conception et l'intégration des senseurs.
    Oui l'intégration d'autant d'autant de capteurs sur un porteur tel que le King Air était peut être trop ambitieux. Je ne connais pas de King Air équipé avec autant de senseurs.
    Il y a déjà 2 avions disponibles en version SURMAR (sans la suite POLMAR) un troisième arrive. Le premier avion SURPOLMAR est en cours d'intégration ...

  • Fatigant! Ereintant! A longueur d'année on se bat comme des chiens, dans nos aéroclubs, pour économiser, gérer, et continuer à offrir dans les meilleures conditions, le rêve d'Icare aux jeunes, et en face, ceux qui devraient donner l'exemple, jettent à tour de bras les billets par les fenêtres. Ajouté à l'ambiance générale, je crois, Sire, que la révolte gronde..

    • Et dans le même temps la même administration des Douanes, pour économiser quelques heures de fonctionnaires, ferme des points de passages frontaliers!

      • J'étais justement en train d'y penser....... dire qu'on a autant de grandes écoles pour produire autant de" guignols" gestionnaires... pour les politiques et surtout leurs cabinets ministériels qui font la pluie et le beau temps (quelque soit la couleur des gens au pouvoir) ..c'est bras cassé et Cie, ils n'en n'ont rien à cirer , c'est pas leur pognon...

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