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Défense

L’eurodrone sera motorisé par Avio Aero

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Frédéric Lert

La décision était attendue et elle tombée le 27 mars 2022 : la turbine Catalyst d’Avio Aero a été choisie pour motoriser l’Eurodrone. C’est un échec pour Safran qui était également sur les rangs avec son Ardiden 3TP. Mais c’est aussi un pari qui semble osé au vu des difficultés rencontrées dans le développement du programme Beechcraft Denali, seule application à ce jour du moteur Catalyst.

« Le Catalyst a été choisi pour sa meilleure compétitivité. On a une solution qui est plus mûre, qui est en vol d’essai sur un appareil commercial (…), nous avons estimé, dans la comparaison, un risque de développement plus faible », a justifié Jean-Brice Dumont, le patron d’Airbus Military Aircraft. « C’est très important dans un programme militaire en coopération où les plannings sont tendus, et où on a un départ lancé qui est compliqué à gérer », a-t-il ajouté.

Effectivement, le Catalyst avait une belle longueur d’avance sur son concurrent présenté par Safran. Le moteur italo-américain (Avio Aero fait partie du groupe General Electric) est testé en vol depuis le 30 septembre 2021 et il a de plus été choisi pour motoriser le monomoteur Denali de Beechcraft.

Ceci dit, on se souviendra tout de même que ce moteur, qui s’attaque à la suprématie du PT-6, a eu un développement difficile et a fait prendre au Denali plus de trois ans de retard ! Lors d’une conférence  de presse à la NBAA (salon de l’aviation d’affaires) de 2019, Brad Mottier, vice-président et directeur général, aviation d’affaires et générale des systèmes intégrés GE, avait même reconnu que  « GE traverse la phase de certification la plus longue jamais vue jusqu’à présent pour un moteur turbopropulseur ».

En face, Safran revendiquait le titre de « seul turbopropulseur 100% européen pour applications militaires » pour son Ardiden 3TP. Le moteur réunit en effet Safran Helicopter Engines, MT-Propeller et ZF Luftfahrttechnik (Allemagne) et il intègre des technologies développées grâce au démonstrateur technologique Tech TP, qui a réalisé ses premiers essais en juin 2019.

Malgré les difficultés rencontrées par Textron dans le développement de son futur monoturbopropulseur Denali,  Airbus a fait le choix de la turbine Catalyst pour l’Eurodrone. © Airbus

Le moteur s’appuie sur le générateur de gaz de l’Ardiden 3, turbine pour hélicoptère déjà certifié par l’EASA. Une référence qui est loin d’être idéale : l’Ardiden n’embarque aujourd’hui que sur deux hélicoptères : l’Avicopter AC352 (version chinoise du H175 d’Airbus Helicopters) et le Kamov 62. Deux applications qui sentent quelque peu le souffre… Quant à l’Ardiden 3TP lui-même, sa seule application en vue se limitait pour l’instant à l’Eurodrone. Une situation qui n’était pas sans rappeler celle de la turbine TP400, imposée à Airbus en 2003 pour motoriser l’A400M, mais avec à la clef des retards et des surcoûts. Airbus et les pouvoirs publics ont-ils voulu éviter une répétition de ce scénario ?

Pour autant, serait-il bien prudent de confier la motorisation de l’Eurodrone à la filiale d’une société américaine ? « Le Catalyst est un moteur (…) entièrement développé et fabriqué en Europe, conçu pour ne pas être soumis aux règles ITAR, permettant ainsi de s’affranchir d’exigences supplémentaires en matière d’exportation » a souligné Airbus dans son communiqué de presse. « On s’en est assuré par un audit », a précisé Jean-Brice Dumont.

L’histoire dira ce que vaut un audit contre les diktats américains et leur propension à imposer leurs règles de droit au reste du monde. Reste le symbole, largement mis en avant par Safran : « (…) dans l’esprit du plan de relance européen, ce serait choquant que l’argent du contribuable européen serve à financer une solution de motorisation concurrente, qui est actuellement en cours de certification auprès des autorités américaines » avait expliqué Franck Saudo, président de Safran Helicopter Engines à La Tribune en juin 2021. « Enfin, la sélection du moteur est naturellement un enjeu de souveraineté pour l’Europe, qui doit conserver son autonomie sur les enjeux de motorisation. Les autorités françaises sont clairement mobilisées »

L’Eurodrone. © Airbus

Apparemment la mobilisation a été insuffisante, mais était-ce véritablement une surprise ?  Quelques jours après les déclarations de Franck Saudo, Joël Barre, délégué général pour l’armement, avait expliqué lors d’une audition à l’assemblée nationale que « le MALE étant un système d’information et de renseignement installé dans un petit avion, la valeur ajoutée technologique et industrielle réside en effet d’abord dans les équipements de mission et de communication. Nous en avons exigé l’attribution à la partie française sans compétition, mais nous ne l’avons pas exigé pour le moteur, car nous pensions que cela ne se justifiait pas ».

Pour la motorisation de l’Eurodrone, Airbus a choisi l’offre de la filiale de l’américain GE au détriment de celle du français Safran. © Airbus

Tant qu’à faire, Joël Barre aurait pu même poser la question de la justification du drone dans sa configuration actuelle, l’appareil défrayant déjà la chronique par ses caractéristiques : près de 30m d’envergure pour onze tonnes au décollage et l’exigence d’une configuration bimoteur. L’Allemagne, la France l’Italie et l’Espagne évoquent à ce jour une commande groupée de 60 appareils pour un montant de 7,1 milliards d’Euros, ce qui place d’ores et déjà l’appareil, alors que le développement ne fait que commencer, à 118 millions d’Euros l’unité, en tenant compte des stations de contrôle et du soutien technique sur cinq ans. Fichtre !

Frédéric Lert

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

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  • Rappelons tout d'abord que la RFA n'existe plus.
    Par ailleurs, les bombes nucléaires à gravitation étaient déjà stockés en Allemagne de l'ouest (à l'époque la RFA) du temps de la guerre froide et pouvaient déjà être déployées par des appareils allemands. Cela ne constituent donc pas un "changement géostratégique" et ne fait pas de l'Allemagne une puissance nucléaire souveraine, puisque ces bombes ne peuvent être mises en œuvre qu'avec l'accord des USA.

  • N'avez vous pas compris que l'Europe a été vendue aux USA ? Un drone Européen d'accord mais à condition qu'il soit motorisé par les peaux rouges, même si leur moteur est moins bon ...
    Voyez la fulgurante percée du F35 en Europe aux dépends du Rafale !

    • Je ne peux qu'abonder dans vos sens.
      Avec les bombes nucléaires US B61 stockées en RFA sur des bases « américaines » et l'achat des F35 aux USA qui peuvent "délivrer" ces bombes, l’Allemagne devient de facto aussi une « puissance nucléaire ».
      Avec son programme pluriannuel de réarmement de 100 mds d’euros /an qui sera purement allemand, et non européen, la première puissance économique européenne redeviendra très vite la première puissance militaire en Europe.
      Je n’ai pas le sentiment qu’en France et en Europe, on ait bien compris la portée et les conséquences de ces subtils changements géostratégiques. En attendant dans leur vision hégémonique à court terme les américains ont bien fait exploser 77 ans de « pax europeana ».

    • Merci M. Le Borgne.
      Vous confirmez ce que je pense depuis des décennies.
      Le plus triste c'est que les Français (dont moi) étaient convaincus de l'importance d'une Europe sociale, humaniste, solidaire, et qu'ils y ont cru !
      Au lieu de cela nous avons eu une Europe des prédateurs financiers qui ont profité (et profitent encore...) des disparités sociales et fiscales pour s'en mettre plein les poches au détriment des citoyens Français (voir l'industrie, l'agriculture, la pêche....).
      Parallèlement, les Américains ont favorisé ce type de structure (financière) parce qu'ils peuvent ainsi avoir la mainmise sur les décisions commerciales des pays d'Europe qu'ils imposent en contre partie de la protection de l'OTAN.
      Ca leur permet en prime (cette protection militaire) d'obliger les pays concernés à acheter leur matériel (F35, drones, etc.) tout en s'assurant qu'en cas de conflit "classique" les destructions territoriales n'affectent que le continent Européen, et donc jamais le leur....
      On en a une preuve flagrante avec l'Ukraine et en prime on subit "leur" décision (qui ne leur coûte pas un dollar, au contraire...) de boycott du commerce avec la Russie qui n'aurait jamais dû affecter la France (nos importations de Russie sont minimes, mais on mutualise le coût de leur remplacement pour aider l'Allemagne, la Pologne, etc...tous ces clients de F35 !
      Un président Français digne de ce nom aurait refusé une alliance militaire contraignante avec tous les pays qui n'ont pas été foutus d'acheter le "Rafale" et aurait maintenu ses relations commerciales avec la Russie, l'indépendance nucléaire (coûteuse pour les Français mais effectivement dissuasive) lui donnant le poids nécessaire pour influencer les négociations (ce qui est impossible vu notre entrave avec les autres pays d'Europe, eux-même paillassons des USA).
      Tant pis pour l'avis des humanistes de salon qui, comme BHL ou autre Jadot n'ont même pas compris que chaque arme de défense offerte hypocritement aux résistants Ukrainiens ne fait que prolonger un conflit prévisible (provoqué ?), meurtrier, à l'issue inexorable, et dont chaque bataille crée des milliers de victimes, autant civiles que militaires.

      Jean-Baptiste Berger

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