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Défense

Un raid longue distance pour les NH90 Caïman de l’ALAT

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Frédéric Lert

Trois hélicoptères NH90 Caïman du 1er Régiment d’Hélicoptères de Combat équipés de réservoirs supplémentaires et décollant à la masse maximale de 11 tonnes ont réalisé une mission de plus de 9 heures en deux étapes. Un raid qui démontre les capacités de pénétration à longue distance des appareils de nouvelle génération de l’ALAT. Aerobuzz.fr y était…

Jeudi 10 juin 2021, base de Phalsbourg, 2h10 après minuit. Les Pulsar 70, 71 et 72, trois NH90 Caïman du 1er Régiment d’Hélicoptères de Combat (1er RHC) roulent lourdement vers la piste. Les appareils sont à la masse maximale de onze tonnes, dont 3.300 kg de carburant. Une configuration jamais vue auparavant dans les RHC et directement liée à l’emploi de deux réservoirs extérieurs de 625 litres (500 kg) sur chaque appareil.

Le GAMSTAT de Valence avait réalisé une  première expérimentation technique pour l’ALAT dès 2017. Les réservoirs et les pylônes d’emport, les HSC (Heavy Store Carrier), avaient été fournis à l’époque par l’industriel.

Les appareils préparés pour le raid sont sortis de leur hangar quelques dizaines de minutes avant le décollage. Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Les réservoirs et leurs supports ont été prêtés par le Transporthubschrauberregiment 30 de l’armée allemande, également équipé de NH90. Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Pour ce premier raid d’entraînement, l’ALAT est par contre allée emprunter trois kits (comprenant chacun deux pylônes et deux réservoirs) de l’autre côté du Rhin, chez le voisin allemand qui a déjà acheté ces optionnels. La France devrait acheter à son tour une quinzaine de réservoirs et leurs supports courant 2022. Si cela n’a pas été fait plus tôt, c’est que la priorité était ailleurs explique-t-on au sein de l’ALAT.

A manoeuvrer avec précaution

« L’utilisation de ces réservoirs et l’allonge supplémentaires qu’ils offrent à nos Caïman est une brique supplémentaire dans la préparation au combat de haute intensité » plaide le général Vallette d’Osia, commandant de l’ALAT, qui a fait le déplacement à Phalsbourg pour assister au dernier briefing du raid et échanger avec les équipages. « Si cette mission semble simple, elle dure tout de même plus de dix heures et à l’aspect simplement technique s’ajoute un thème tactique difficile. Nous voulons tirer de ce raid un RETEX (retour d’expérience) qui servira à l’ALAT pour approfondir ses capacités d’intervention dans la profondeur d’un dispositif ennemi ».

Dans cette configuration avec les pleins internes (2 tonnes) plus les réservoirs extérieurs (2×500 kg), un réservoir supplémentaire en soute (350kg) et une poignée de passagers, les Caïman arrivent à leur masse maximale au décollage, 11 tonnes.

« En préalable à la mission, nous avons réalisé ces dernières heures des vols d’accoutumance d’environ 45 minutes avec chacun des équipages, sous la houlette d’un équipage du Gamstat » souligne le capitaine Matthieu, commandant de l’EHMA 3 (Escadrille d’Hélicoptères de Manoeuvre et d’Assaut) et leader de la mission. « Pilotes, chefs de bord et mécaniciens navigants ont pu prendre la mesure de l’impact de cette masse maximale sur les qualités de vol de l’appareil. ».

Des vols d’accoutumance ont permis aux équipages engagés dans le raid de se familiariser en avance de phase avec les caractéristiques de vol du NH90 Caïman à la masse maximale. Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Carburant ou passagers, il faut choisir

Avec les réservoirs supplémentaires pleins, l’appareil sort en effet des limites de centrage avant pour 2 centimètres. L’ajout du réservoir supplémentaire à l’arrière de la soute permet de revenir dans l’épure tout en apportant près de 45 minutes de vol supplémentaires. Méfiance quand même : les équipages ont pu noter que l’appareil ne devait pas dépasser 30° d’inclinaison en virage avant d’avoir brûlé le contenu des réservoirs extérieurs. Au-delà de cette valeur, l’appareil engageait le virage et prenait de l’assiette à piquer…

Dans le monde réel, une telle autonomie se paie cash au détriment de la charge emportée : avec 3.300 kg de carburant, le Caïman emporte un équipage de quatre personnes et guère plus de deux ou trois passagers en soute. Hors de question donc de lancer des OHP (Opérations Héliportées) massives.

Mais la configuration reste néanmoins très intéressante pour des vols de mise en place, des évacuations sanitaires, des opérations spéciales…

A terme, l’ALAT voudrait également utiliser une configuration dissymétrique avec un réservoir d’un côté et une mitrailleuse lourde M3M de l’autre. De quoi combiner autonomie (un réservoir apporte environ une heure d’autonomie supplémentaire), puissance de feu et capacité d’emport de commandos.

Un sans faute

Mais revenons à bord de Pulsar 70 qui montre la voie au-dessus de la France endormie. Le déroulement du raid est lui-même une source de difficulté et s’insère dans un scénario complexe de récupération de ressortissants dans un pays hostile. Menaces sol air, rendez-vous avec une première patrouille de deux Tigre en pleine nuit à hauteur de Valence, coordination au niveau de l’Ile du Levant avec deux autres Tigre en provenance cette fois du 4eme RHFS de Pau, tirs réels au canon de 30mm sur le champ de tir de l’Ile, récupération d’un plastron, vol tactique sur le chemin du retour…

La formule est complexe, avec en toile de fond la fatigue propre à une mission très longue ayant débuté au coeur de la nuit.

Après le décollage, la formation a pris la direction de Metz, dans le nord-ouest, afin de tromper l’adversaire sur ses intentions véritables. Une fois hors de la couverture radar ennemie, c’est un cap au sud, direction Valence, où les Tigre de l’escorte sont retrouvés à 5h du matin.  L’arrivée en vue de l’Ile du Levant se fait à 6h15, avec quelques minutes d’attente au ras des flots, le temps que les Tigre venus de Pau finissent leurs tirs.

L’arrivée sur l’Ile du Levant se fait alors que le jour se lève, peu après 6h du matin. Les équipages ont déjà plus de 4 heures de vol dans les jambes mais ils n’en sont même pas à la moitié de la mission. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

La mission, et en particulier l’approche sur la DZ de l’Ile du Levant, a été répétée au simulateur à Phalsbourg. Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

La préparation de la mission s’est révélée juste et la comparaison des consommations confirme que tous les appareils sont dans les clous : après un vol d’infiltration de quatre heures, les trois NH90 gardent encore assez de carburant pour accomplir la mission dans son intégralité.

Le porte-avions de Canjuers

Poser rapide , récupération des 22 militaires du plastron et redécollage immédiat, cap à l’est en passant en revue la Côte d’Azur en basse altitude. St Tropez, Fréjus, Cannes, Nice et Monaco défilent sur la gauche de la formation.

Peu avant la frontière italienne, un brusque virage à gauche emmène les trois NH90 sur la terre ferme et dans le relief de l’arrière pays niçois.

Un nouveau changement de cap et c’est désormais une course face à l’ouest, avec le camp militaire de Canjuers en ligne de mire. Après un rapide avitaillement au sol sur « le porte-avions », en fait une DZ de Canjuers ayant peu ou prou la surface d’un navire porte-hélicoptères, la course reprend aussitôt, avec cette fois une remontée plein nord qui effleure Genève et permet de retrouver Phalsbourg à 13h, après 9h20 de vol dont quatre de nuit.

Dernier briefing des équipages à Phalsbourg, sous la direction du capitaine Matthieu, commandant de l’EHMA3. Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Les trois appareils ont tourné comme des horloges avec une consommation moyenne de 550 kg/h sur tout le trajet, pour une vitesse moyenne de 120 noeuds et 2200 kilomètres parcourus.

Un documentaire à ne pas rater

« Ce raid est une première étape souligne le général Vallette d’Osia. Nous rejouerons dans le futur ce même genre d’exercice en ajoutant des briques et des difficultés supplémentaires ». Il est alors facile d’imaginer la participation de l’Armée de l’air et de l’espace et de la Marine dans de futurs scénarios à la complexité croissante, mais toujours adossés aux formidables capacités du Caïman. TF1 diffusera le 14 juillet 2021 un documentaire de 20 minutes sur cette opération. A ne pas rater !

Frédéric Lert

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • En 1979 , l'opération ""BARRACUDA"" entre N'DJAMENA et BANGUI pourdéposer BOKASSA de son empire.Les pumas(SA330) ont volé 4h 30 en territoire hostile sans JVN,avec 4 bidons de convoyage en soute '1800 litres de Kéro) décollage à 1h du matin avec du matériel,les appareils étaient au-dessus de la charge max (7t à 7,4t).Un raid en opération de guerre pour la mise en place de 4 appareil pour héliporter les troupes du
    11eme choc posés d'assaut sur Bangui,derrière un avion de ligne.Préparation de l'OP ,
    21 transalls sur la base "KOSEÏ" à N'DJAMENA . Le Caïman est plus moderne et plus compétitif par ses performances . Il y a 42 ans et je pense que vous pouvez avoir des infos dans certaines archives. Pour terminer, j'y étais .Je suis parti en 2000 après 36 ans dans l'ALAT dont 28 ans mec nav sur Puma . RSU .S

  • Un brave Super Puma mk2 avec des réservoirs dans les ailettes de train et dans la soute arrière pouvait emporter 3,8t de pétrole. Lors d’une évaluation les armées portugaises avaient demandé de voler 400 nautiques de se mettre 15 minutes en stationnaire et de revenir. Ainsi fut fait. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Par contre il reste étonnant que pour le NH90 les services officiels n’aient demandé que 2t de carburant.

  • Ne mettons la charrue avant bœufs.
    Il y a un début à chaque problème et ne soyez pas pessimiste et encore moins anxiogène.
    Moi qui appartenu a l'AAE, le problème du ravitaillement en vol n,a pas été résolu en un jour.
    Laissez les personnels de l'ALAT et la DGA réfléchir à ce problème et nul doute que dans quelques temps le ravitaillement en vol des futur voiles tournantes ne sera plus un problème.
    Salutations à vous tous.

  • Merci pour ce passionnant article fort bien documenté, et qui donne envie....

    Pour le genre d'opérations envisageables avec ces capacités : l'épique évacuation de l'ambassade américaine à Mogadiscio en janvier 1991, à l'aide d'un dispositif de CH-53E partis de navires porte-hélicoptères éloignés, qui ravitaillèrent sur C-130 dans l'océan indien et arrivèrent juste à temps pour disperser la foule d'assaillants qui commençait à escalader les murs du compound de l'ambassade pleine de réfugiés..... et alors que les six Marines sur place se préparaient à mourir les armes à la main (oui, dans ces pays-là, ne JAMAIS capituler, ne jamais rendre ses armes...)
    C'était début janvier 1991, toutes les forces américaines étaient dans le Golfe, prêtes pour la guerre avec l'Iraq qui débuta le 15.
    L'opération fut appelé Eastern Exit, documentez-vous, c'est extraordinaire (pourquoi écrire des romans ? ou des films romancés style "Black Hawk Down" que tout le monde connaitra cependant)
    Encore une fois : pas de film américain = pas de mémoires...

  • Des Kg, des T de carburant, des heures de vol, mais en vitesse et distance ça donne quoi ?
    Parce que comme l’ennemi c’est la Russie, l’Oural c’est loin ...
    Bon ... quand le Mali sera tombé, que le Burkina suivra, tout dépendra du point de départ pour aller protéger les uranates du Niger.
    Même si ça passe, avec 3 soldats à l’arrivée....
    Restent les opérations spéciales et le transport de la ministre, avec arrêts pipi ici et là.

    • Question consommation et charge utile, c'est sûr qu'on pourrait faire mieux avec un aéronef STOL. Faut juste prévoir la piste qui va bien à chaque posé, Les services spéciaux sont habitués je suppose

    • Bonjour Anemometrix,
      les réponses à vos questions sont dans le texte, je vous laisse chercher, prenez ça comme un jeu. Cordialement
      Frédéric

  • Deux ou trois passagers en soute , ça fait pas lourd !
    Manœuvrabilité limité tant que les réservoirs externes ne sont pas vides !
    La solution ne serait-elle pas une perche de ravitaillement, comme sur les Caracal ?
    Mais celle -ci ne semble pas prévue parmi l'équipement du futur Caïman FS.

    • Bonjour François,
      Entre pax et carburant, vous placez le curseur où vous voulez en fonction du but à atteindre. Six heures de vol avec un équipage de 4 et deux pax, ou bien quatre heures de vol avec le même équipage et 10 pax...
      Et si le ravitaillement en vol n'était pas une solution mais un problème, et la capacité d'emport en carburant une solution et pas un problème ? C'est juste une question de perspective...
      Cordialement
      Frédéric

      • Oui, ou peut-être qu'une perche de ravitaillement, qui, il fut un temps avait été envisagée pour le Caïman par les FS françaises , et qui serait prévue pour le H160M (certes ça peut encore changer !), ne sera pas souhaitée et donc pas financée par les pays partenaires qui, à part l'Italie, ne pratiquent pas le ravitaillement hélico.

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