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Hinfact a les élèves-pilotes à l’oeil

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Fabrice Morlon

En s’appuyant sur les recherches menées par le laboratoire de Neuroergonomie et Facteurs Humains de l’ISAE Supaero, la startup Hinfact ambitionne d’optimiser la formation des pilotes en suivant en temps réel leurs mouvements oculaires. Cette technologie révolutionnaire quitte le labo pour entrer dans les simulateurs de vol.

Partant du constat que près de la moitié des accidents et incidents dans l’aviation commerciale sont liés à un défaut de vérification des paramètres de l’aéronef, Hinfact a cherché à apporter une aide aux pilotes en cours de formation ou en entraînement récurrent : en suivant les mouvements oculaires du pilote, il est désormais possible de connaître précisément le degré d’attention de ce dernier sur les points essentiels à surveiller au cours d’un vol. Hinfact est née en 2018 de la rencontre de deux élèves de l’ISAE Supaero, et trois chercheurs du laboratoire de Neuroergonomie et Facteurs Humains de l’école.

Depuis près de 17 années, l’ISAE Supaero travaille à acquérir de meilleures connaissances des facteurs humains dans l’aéronautique et à la manière de minimiser leur impact négatif sur la conduite d’un vol commercial. L’école a développé ainsi une expertise importante sur tout ce qui se passe dans le cockpit : du comportement des pilotes aux neuro-sciences, en passant par le suivi des mouvements oculaires des pilotes.

« C’est sur cette base » explique Thomas Bessiere, directeur de la startup et co-fondateur d’Hinfact, « et partant du constat que la technologie de suivi des mouvements oculaires est désormais mâture eye-tracking » en Anglais) que nous avons décidé de développer notre solution, avec Thibault Vandebrouck, Frédéric Dehais, Sébastien Scannella et Vsevolod Peysakhovich. »

Les limites du cerveau humain

L’équipe, désormais constituée d’une dizaine de personnes, a été récompensée en juin 2018 par un prix de l’innovation décerné par Polytechnique et Safran, puis s’est immédiatement lancée de l’aventure du développement d’une solution d’aide à la formation des pilotes. « Quarante-huit pour cent des accidents et des incidents sont liés au monitoring inadéquat des paramètres dans l’aviation commerciale, comme la vitesse en finale » explique Thomas Bessiere.

Et Thibault Vandebrouck de préciser : «  Les pilotes ne sont pas mauvais, seulement le cerveau humain a ses limites. Aux commandes d’un aéronef, l’être humain entre vite dans un phénomène de tunnelisation, surtout en conditions dégradées : panne, situation critique… L’objectif d’Hinfact est d’apporter une solution dans la formation, de mieux comprendre ses limites et d’apprendre de ses erreurs. »

Hinfact s’intègre dans un simulateur full flight ou dans un simulateur fixe, de manière à apporter des données supplémentaires à l’instructeur, jusqu’alors inaccessibles. © Hinfact

Dans un simulateur, l’instructeur gère une masse importante de travail pendant une séance qui peut durer quatre heures, dans un FFS (Full Flight Simulator) par exemple. De plus, la position en retrait du poste instructeur le prive d’un contact visuel direct avec les pilotes, rendant le suivi des actions dans le cockpit peu précis. L’idée d’Hinfact est de disposer une caméra, discrète, en face de chaque pilote qui détecte les mouvements de leurs yeux et leur direction. « Sur une application tablette, l’instructeur récupère en temps réel la position du regard de chacun des pilotes » explique le directeur d’Hinfact, « par exemple on peut savoir si aucun des pilotes n’a regardé la vitesse en finale durant 6 secondes, si les check-lists ont bien été lues et les points correspondants vérifiés dans le cockpit, si le circuit visuel est adéquat ou non… »

Améliorer la formation

Après la séance, l’instructeur a accès à une plate-forme de debriefing : sous la forme d’une échelle de temps, la session au simulateur peut être rejouée ainsi que les quelques secondes avant et après un événement de manière à apporter un plus pédagogique par la preuve. « Ce n’est en aucun cas un outil qui vise à punir ou à pointer un manquement » précise Thibault Vandebrouck, « les phénomènes oculaires sont peu maîtrisés et relèvent d’automatisme. Hinfact est un outil pédagogique qui permet d’améliorer sa perception, en tant que pilote, mais aussi d’améliorer la formation dispensée par les instructeurs. D’autre part, les automatismes ont aussi leurs limites : on a encore besoin de l’être humain, et je l’espère pour encore longtemps, pour vérifier que ces automatismes ne dévient pas. »

La startup, basée dans les locaux de l’ISAE Supaero à Toulouse, est en cours de finalisation de son outil, dont la commercialisation est envisagée pour mars-avril 2020. Des instructeurs exerçant au sein de compagnies aériennes françaises, auprès de constructeurs et au sein même de Supaero apportent encore leur retour d’expériences de manière à rendre l’outil le plus intuitif possible. La solution Hinfact s’adresse particulièrement aux écoles de formation au pilotage, mais le système est adaptable à de nombreuses activités utilisant des tableaux de bord ou des consoles de gestion de systèmes : ferroviaire, maritime, nucléaire, défense… Thomas Bessière explique enfin que son équipe est « en cours de discussion avec des constructeurs aéronautiques : notre système permet de comparer les designs et l’ergonomie de plusieurs cockpits de manière à évaluer la pertinence de la position de telle ou telle commande. »

Fabrice Morlon

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Fabrice Morlon

Pilote professionnel, Fabrice Morlon a rejoint la rédaction d’Aerobuzz, début 2013. Passionné d'aviation sous toutes ses formes, il a collaboré à plusieurs médias aéronautiques et publié une dizaine d'ouvrages, notamment sur l'aviation militaire.

View Comments

  • Le maillon faible reste le pilote
    Le maillon fort reste le pilote
    L'humain est faillible mais parfois fait preuve d'intelligence, c'est bien là le fond du problème.
    Si d'aventure il y a encore des avions à la fin de ce siècle, les humains auront déserté les postes de pilotage, que certains fieffés imbéciles nomment "plus beau bureau du monde", tu parles ! même le bureau ovale de la Maison Blanche n'a pas à naviguer dans la 3eme dimension, en cas d'emmerde on peut toujours faire une pause et aller boire un café,..... quand ça merde dans un avion, il n'en est guère question.

  • Au labo Ergonomie de la DGA on utilisait cette technique sur les simulateurs de postes de contrôle des SNA (Sous marin Nucléaire d'Attaque), ce qui nous a permis d'apporter des modifications très utiles pour les utilisateurs. On était alors en 1990 !!!

  • Et encore une emmerde de plus pour les pilotes, EBT inclu.
    On ne changera pas la nature humaine :
    l'experience et l'entrainement sont les clefs de voutes de la sécurité aérienne.

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