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Industrie

Et le F-35 remit en question le SCAF…

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Frédéric Lert

Face à l’attitude attentiste de son partenaire Airbus, Eric Trappier, PDG de Dassault, est en train de perdre patience. Il n’imagine pas que le programme SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) puisse devenir opérationnel avant 2050. Sa conviction que l’Allemagne choisira prochainement le F-35 ne l’encourage pas à l’optimisme…

La dernière conférence de presse de Dassault Aviation (4 mars 2022) a présenté deux facettes. Côté face : l’annonce par Eric Trappier d’excellents résultats financiers, de ventes solides et d’une trésorerie de rêve. Côté pile : les réponses éloquentes du PDG du groupe aéronautique français aux questions qui lui étaient posées par les journalistes présents. A l’évidence, le patron de Dassault qui ne supporte toujours pas l’attitude d’Airbus, ne se prive pas pour le redire. Devant les sénateurs français, en mars 2021, il s’était lâché. Devant la presse internationale, il en remet une couche.

Un bref rappel : pour le SCAF (Système de Combat Aérien du Futur), France et Allemagne (depuis rejointes par l’Espagne) se sont accordées en 2017 sur la répartition des responsabilités concernant les six « piliers » du programme (moteurs, capteurs, drones, etc) dont le plus important est l’avion de combat de nouvelle génération (NGF). Pour ce dernier, il était prévu que Dassault Aviation soit leader, architecte maitre d’œuvre, avec comme partenaire Airbus qui représente les intérêts industriels de l’Allemagne et de l’Espagne.

Or ce partage des responsabilités et le leadership de Dassault sur ce pilier particulier du NGF ne semble toujours pas accepté par Airbus.

Les contrats permettant d’engager la phase 1B, devant déboucher sur la mise en vol d’un démonstrateur technologique, n’ont toujours pas été notifiés et la situation semble, aujourd’hui, bloquée. « Depuis septembre c’est un travail entre les trois sociétés et les trois pays derrière, il y a un certain nombre de demandes complémentaires. », lâche Eric Trappier. « Or ce que moi j’ai mis comme ligne rouge, c’est qu’il y a bien un leader et je n’accepte d’être leader que si j’ai les leviers pour être leader. Ce serait mentir à nos forces armées que dire d’être capable de faire quelque chose en co-développement, sans leader, et de leur assurer un délai, une performance et un coût. Donc on bute un peu là-dessus. (…) »

« Maintenant on a fait tout ce qu’il fallait pour signer avec Airbus, j’attends la signature d’Airbus ». Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation

Lors de la conférence de presse du 4 mars 2022, l’évocation de la situation ukrainienne par un journaliste a, ensuite, été l’occasion pour le PDG de Dassault Aviation de revenir sur le calendrier de l’avion de combat de nouvelle génération (NGF) : « On a dit, premier avion en 2040. Comme on prend beaucoup de retard, ce sera après 2040 pour un standard initial. Le temps qu’il y ait un standard définitif, le temps que les forces armées le prennent en compte, vous avez un avion opérationnel en 2050 ».

C’est donc officiel, il faut maintenant compter trente ans entre le lancement d’un programme d’avion de combat et l’obtention d’un appareil opérationnel ! Entre le premier vol du démonstrateur Rafale A et la mise en service de l’avion au standard F2, c’est à dire avec un premier niveau de polyvalence, il s’était écoulé vingt ans. Une durée déjà très excessive due essentiellement à des contraintes non pas techniques mais budgétaires. Ce précédent fâcheux serait-il devenu la norme ?

« La problématique du jour pour nous c’est le Rafale. », poursuit Éric Trappier. « Mais on est prêts à travailler sur la génération future. Croyez-moi, mes ingénieurs du bureau d’études ne demandent que ça (…) »

Un journaliste de l’AFP demande alors ce qui pourrait se passer d’ici la fin de l’année en cas de non signature par Airbus d’un accord sur la phase 1B. La réponse d’Eric Trappier est édifiante : « Normalement la phase 1B aurait dû être signée en septembre. On a maintenu nos équipes jusqu’à la fin de l’année 2021 en leur disant que ça allait se débloquer (…). Mais ça ne se débloque pas. Je ne peux pas laisser une équipe de centaines d’ingénieurs à attendre le bon vouloir de Pierre, Paul ou Jacques. Donc j’ai commencé fin janvier à réorienter une partie de l’équipe, voire la totalité de l’équipe bientôt, vers d’autres métiers. (…) On ne peut pas laisser des ingénieurs à rien faire. (…) ».

Un peu plus tard Eric Trappier ajoute « donc oui en 2022 il va falloir statuer, on ne peut pas rester l’arme au pied, il faudra dire oui ou non. C’est une problématique entre industriels mais aussi entre les états. A mon sens, ça dure déjà depuis un peu trop longtemps ».

Nous avons gardé pour la fin les commentaires du PDG de Dassault Aviation sur l’augmentation annoncée du budget de la défense Outre-Rhin, et son passage à 100 milliards d’Euros. « Si la première des décisions est d’acheter le F-35, effectivement ça va rafraichir notre soutien dans ce domaine. Or je suis persuadé qu’ils vont acheter du F-35. Ils l’ont dit, c’est dans la plateforme de gouvernement allemand. (…) J’ai compris depuis trois ou quatre ans que je m’intéresse fortement à l’Allemagne que les Allemands pourrait envisager le F-18, mais les Américains ont dit « ce sera plutôt le F-35 ». Ils n’ont pas le choix semble-t-il.  On verra avec notre partenaire, qui est l’Allemagne, si le premier choix qu’ils font est de signer le contrat SCAF ou d’acheter du F-35 ».

Fermez le ban.

Frédéric Lert

 

 

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • Bonjour... Je ne suis absolument pas un professionnel de l'aéronautique, ni de la défense nationale; mais je m'intéresse beaucoup à ces questions, en tant que citoyen.
    Donc bravo à Aérobuzz de développer ce sujet, il s'agit quand même du prochain avion de combat français....
    Alors je vais poser une question naïve: pourquoi ce qui marche bien entre français et allemands au niveau avions civils ( Airbus) n'est pas possible à instaurer au niveau militaire, si tout le monde veut bien y mettre du sien?
    Christian

    • Les raisons sont multiples.

      Concernant l'Eurofighter et le Rafale, la demande des deux forces aériennes ne coïncidait pas. Les Allemands souhaitaient un avion dédié principalement à la défense aérienne, les autres tâches étant dévolues au Tornado.
      Les Français voulaient un appareil "omnirôle" (reconnaissance, défense aérienne, appuis rapproché, bombardement conventionnel et stratégique) qui de surcroît, devait être embarqué sur un porte-avion. Cette polyvalence nécessitait certains compromis, d'où un Rafale un peu plus petit et moins rapide que l'Eurofighter.

      Concernant le NGF, Dassault, Thales et Safran détiennent un savoir faire en matière d'avion de chasse que leurs homologues germaniques, Airbus, Hensoldt et MTU ne possèdent pas.
      Les Allemands voudraient profiter de cette coopération pour hisser leur compétence au niveau de celle des français, mais Dassault ne souhaite pas partager ses secrets professionnels.

      Et comme l'explique Frédéric Lert, les Allemands vont acquérir des F-35, car les Etats Unis ne vont pas certifier le Super Hornet ni l'Eurofighter, pour le largage de la bombe atomique de l'OTAN, que les Allemands sont sensés mettre en œuvre.
      Nos voisins possèderont ainsi un avion de 5ème génération, et leur besoin pour un nouvel appareil ne sera plus aussi pressant et ne coïncidera plus avec le calendrier français.

  • Pas étonnant. Ça se voit depuis le début. Rien de possible avec les allemands. Il y avait un créneau avec les anglais. On les a envoyés promener. Donc ce sera seuls ou seuls ou pas …. Dommage. Mais qui croit que les américains lâcheront une seconde fois le marché allemand pour accrocher les bombes nucléaires de l’OTAN en Allemagne après les Tornado ?
    Un parapluie ça a un prix. La confiance aussi.

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