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Industrie

Le 737 Max, véritable épée de Damoclès pour Boeing ?

Published by
Louis Kulicka

Un an après l’accident du 737MAX d’Ethiopian Airlines (10 mars 2019), Boeing est toujours engagé dans une course contre la montre qui doit conduire, en principe, à la remise en service du 737MAX. Jusqu’à quand le constructeur américain pourra-t-il tenir ?

Boeing a mis en place un système de gestion de ses ressources et de son outil de production permettant de remettre le plus de trésorerie possible aux actionnaires. Cette « stratégie » sur laquelle on laissera le lecteur porter son propre jugement se visualise quand on regarde les postes du bilan de l’entreprise Boeing de près (2019, ou les mécomptes de Boeing). Avec la crise actuelle, cela pourrait s’avérer fatal au constructeur ou disons mettre sérieusement en jeu sa pérennité. Voyons pourquoi le 737 Max pour Boeing doit absolument revoler…

Carnet de commandes : le probable n’est jamais certain

Si on prend comme hypothèse qu’un Boeing 737 max est vendu 60 millions de dollars, et permet un bénéfice de 10% soit 6 millions de dollars (ce qui est confortable), on en conclut que Boeing va devoir apporter 54 millions de dollars de valeur en force de travail, matières premières, services, achats de pièces détachées auprès des sous-traitants etc. pour en construire un exemplaire.

Combien de temps en moyenne faut-il à Boeing pour livrer un avion après passation de la commande ? Le carnet de commandes de Boeing était proche de 6.000 unités fin 2018, et avait livré à ses clients 580 B737 cette année-là. Un simple calcul de coin de table nous dit qu’à ce rythme, il faut environ 7,24 années à Boeing pour livrer un avion après prise de la commande. Autrement dit, Boeing à ce rythme avait 7 années de travail assuré devant lui : beaucoup d’entreprise aimeraient en dire autant !

Plan d’acomptage contractuel

Pendant ces 6 années, Boeing ne peut supporter seule le financement de la construction de tous ces avions : il fait appel à son client qui va verser des avances au fabricant. Ces versements selon ce que l’on appelle un « plan d’acomptage » contractuel permettront à l’industriel de payer l’achat des biens nécessaires à la construction de l’avion.

Ces montants versés ne constituent pas du chiffre d’affaires pour l’avionneur : le transfert de propriété n’a pas eu lieu, cet argent est un prêt, il appartient toujours au client, mais il est mis dans la poche de Boeing pour acheter ce qui est nécessaire à la construction de l’avion. Pour Boeing, c’est une dette envers son client qui finance la construction de l’avion dont il doit devenir propriétaire. C’est un schéma classique et bien compréhensible dans ce genre de cas de cycle de production très long.

Globalement, on peut dire que ces « avances-clients» sont une fonction croissante des commandes : plus l’avionneur a un carnet de commandes garni, et plus le montant des « avances-clients » sera élevé dans le bilan de l’entreprise, tout en observant une proportionnalité normalement plus ou moins constante entre les deux.

Boeing aurait-il recours à des expédients ?

Sur la Fig.1 (ci-dessus), on peut voir que de 2009 à 2016, l’évolution des avances-clients suit plus ou moins celle de la valeur du carnet de commande bien que sensiblement plus que proportionnelle, et puis soudainement, en 2017 le montant des avances-clients augmente de façon démesurée. Pour être moins abstraits, examinons les chiffres en valeur absolue dans le bilan de Boeing :

Alors que de 2016 à 2017, le carnet de commandes de Boeing est resté sensiblement au même niveau, le montant des avances est passé en un an de 24 à 48 milliards de dollars, soit un accroissement incroyable annuel de 100% ! Bien joué pourrait-on dire, pour prendre un peu plus d’argent dans la poche des compagnies aériennes en attendant la livraison. Pour payer plus de dividendes ou pour racheter plus d’actions c’est bien, mais ça ne « fonctionne » qu’une fois et ressemble un peu à un expédient utilisé en général par les entreprises lorsqu’elles ont des difficultés de trésorerie, ce qui n’est jamais un bon signal.

Un jeu habile ou dangereux ?

Cette pratique, comme indiquée dans l’article « Boeing dans l’angle mort de la crise » a pour but de permettre le « tout pour l’actionnaire » : on donne à l’actionnaire tout ce que l’on gagne, mais également ce que l’on va gagner dans les années à venir. En quelque sorte, on lui vend son avenir qui on le sait est toujours incertain car jusqu’à présent personne n’a réussi à l’écrire. Cela peut fonctionner un certain temps… avec un certain nombre de « si », autrement dit, sous réserve qu’un certain nombre de conditions soient remplies : rien d’automatique donc.

Que s’est-il passé ces derniers mois ? 2 Boeing 737 Max se sont crashés, tuant 346 passagers, 800 avions de ce type sont cloués au sol bientôt depuis un an, Boeing a arrêté la chaine de production de cet avion. Le Boeing 737 Max doit être de nouveau certifié pour retrouver le chemin des airs et la chose n’est pas  encore acquise avec la récente découverte par la FAA  de la non-conformité du câblage électrique de l’avion.

Ce dernier constat risque fort de retarder encore la certification de l’appareil d’une part, et sa remise en état de vol d’autre part si cette modification doit être faite sur 800 appareils cloués au sol. Alors que les compagnies aériennes ne cessent  de repousser la reprise des vols du 737 Max dans leur planning, les premiers signes sérieux d’inquiétudes viennent de se manifester.

Comme on le voit sur la fig. 3 (ci-dessus), les commandes nettes de B 737 Max ont été négatives en 2019 : les annulations de commandes ou reclassements ont été supérieurs aux commandes. Conséquence : le carnet de commandes du 737 Max a commencé de se dégonfler : -178 unités en 2019…

Sachant que le 737 Max est l’avion le plus vendu par Boeing, qu’il représentait 72% de ses ventes en 2018, qu’il est ou plutôt était l’avenir de l’entreprise et qu’il est cloué au sol depuis plus d’un an sans que l’on sache quand est-ce qu’il pourra revoler, que peut-il arriver ?

Une stratégie à risque ?

Comme on le voit sur la figure 5, le poids du B737 dans le carnet de commande Boeing n’a cessé d’augmenter de manière forte et constante depuis 2001. Cette évolution est probablement due à la pression de compagnies américaines notamment qui ont souhaité maximiser leurs économies d’échelle à partir d’une flotte monotype, ou majoritairement.

Cela permet pour une compagnie de réduire les coûts de formation des pilotes, les coûts d’entretien des avions par une plus grande standardisation.  Le client est « roi » et le fournisseur doit répondre à la demande, certes. Cependant, mettre tous ses œufs dans le même panier présente toujours des risques, et la théorie du portefeuille permet de mieux les répartir.

Boeing et les compagnies aériennes ont beaucoup gagné avec la « clause du grand-père » en matière de formation et de certification. Mais que se passerait-il si par exemple un défaut découvert sur le 737 Max pouvait être retrouvé aussi sur le 737 NG, comme par exemple les histoires de câblage électrique non conforme ?

Une descente vers les enfers lente ou rapide ?

Il peut arriver qu’un mouvement massif d’annulation des commandes survienne ce qui signifierait que ? Ce qui signifierait que Boeing se retrouverait devoir rembourser les avances faites par les clients, alors qu’elles ont été transformées en morceaux d’avions. Une catastrophe à laquelle la branche avions commerciaux de Boeing ne résisterait pas.

Regardons : les avances clients représentaient 51 milliards de dollars fin 2019.

Compte tenu du poids des avions commerciaux et de celui des 737 Max, prenons comme hypothèse que les avances clients de cet avion représentent 55 % de ce montant soit 28 milliards de dollars.

Si le 737 Max ne revole pas, ou revole trop tard, les compagnies aériennes seraient fondées à demander le remboursement de ce pactole que Boeing, déjà confronté à des problèmes de financement et bientôt de liquidités serait bien incapable de verser dans son actuel état car transformé en morceaux d’avions (fuselage, ailes, morceaux épars….) devenus invendables. Un véritable couperet. Voilà pourquoi le 737 Max doit absolument revoler…

Mais même si le 737 Max parvient à revoler « prochainement », Boeing ne sera pas sortie d’affaire. Le redécollage au sens propre comme au figuré va prendre du temps : certains parlent de 2 à 3 années pour revenir à la « normale ».

La confiance de certains partenaires est érodée et à long terme, ils vont se tourner vers Airbus et de nouvelles parts de marché seront perdues. D’autres flairant la bonne affaire vont négocier des tarifs extrêmement bas pour cet avion, « vache à lait » de Boeing rappelons-le. Dans cette hypothèse, la rentabilité de Boeing serait entamée fortement et durablement pour les années à venir.

La découverte récente de débris de construction dans les réservoirs va encore ralentir de plusieurs semaines (ou mois ?) le feu vert de la FFA pour l’avion. Le temps joue désormais contre Boeing.

Louis Kulicka

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Louis Kulicka

Il a commencé sa carrière aéronautique comme vélivole. Depuis une vingtaine d'années, il est aéromodéliste : il conçoit ses propres planeurs ensuite construits en matériaux composites. Ayant une formation en gestion finance, il réalise pour Aérobuzz des chroniques financières sur les constructeurs aéronautiques.

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  • c'est plus qu'un malaise
    Personne de censé ne veut la mort de Boeing mais
    toujours pas de réponses nécessaires, a trois questions, pour regagner la confiance notamment après les tragédies de Lion Air et d'ET302 .
    1)qu'est ce qui fait perdre a l'avion 8° d'assiette près du sol quelques secondes après le décollage malgré le respect des procédures par le pilote
    2)quelle est l'origine des instabilités,et leurs niveaux, signalées par la presse US, lors des vols d'essai
    3)quelles sont les preuves que le MCAS et ses modifications sont suffisamment efficaces et rapides d'action pour contrer les défauts signalés

  • Boeing n est pas pret de fermer boutique Mais
    Cette crise n est bonne pour personne et même si airbus en profite un peu, les sous traitants qui travaillent pour les deux compétiteurs vont souffrir.
    Alors comment produire dans de bonnes conditions avec des sous traitants malades ou pas en forme.
    En embuscade,les chinois. En effets les compagnies chinoises achèterons local et un RMB. Même si leur avions ne sont pas au top on peut leur faire confiance pour créer des usines rapidement pour leur marché ou leur voisins proches.
    Il est possible aussi que certaine compagnies dont la fréquentation est affecté par la pandémie, trouve dans la demande de remboursement de leur commande un peu de cash pour èviter la catastrophe.
    De Plus c est Pas tres classe de prendre l avion selon certains
    bref ça n est pas rassurant

  • En attendant, si, certes, l'on peut s'attendre que le gouvernement US ne laissera pas tomber Seattle à coup de xx$$$, force sera donc de constater une fois encore, que les sanctions US à l'OMC infligées face aux avances remboursables conférées à Airbus tourneront à la pantalonade cynique absolue…

  • Plus c est gros, moins ca marche...
    Regardez le Capitalisme par exemple...une grippe et hop tout s effondre...
    Le concorde, le A380 ect...

  • Bonjour,
    Boeing est effectivement condamnée à mort...sauf que, bien que s’affichant comme libéral, l’état américain ne laissera pas tomber Boeing. Il n’est pas possible que les USA abandonnent comme cela leur seul constructeur d’avions civils. La solution leur est simple : demander aux constructeurs d’avions militaires de mettre la main à la poche pour sauver Boeing (rachat partiel ou total) quitte à se faire financer via des achats d’avions militaires. Passer des commandes à la division défense et spatiale de Boeing (les américains savent faire). Et bien d’autres solutions, soutenues par l’état...Bref, soyons clairs : Boeing ne mourra pas ou renaîtra sous une autre forme ! C’est évident !
    Que ferions-nous en Europe si Airbus se trouvait dans cette situation ?

    • Il faut voir aussi que la division spatial de Boeing est aussi dans une zone de turbulence avec l’échec partiel du test de Starliner qui a montré des erreurs logiciels énorme qui aurait du détecté bien avant le lancement.
      Et les énormes retards et dépassement de SLS dont Boeing est un partenaire majeur.
      La branche militaire est aussi en difficulté avec l'avion ravitailleur KC-46 qui accumule les retards et les malfaçon de fabrication.
      Avant la potentiel mort il va y avoir du découpage pour sauver les activité stratégique pour le gouvernement américain

    • Pourvu que Boeing survive, Airbus ne pourra pas fournir 100% du marché. Après, il y a bien sûr les russes et les chinois...

  • Un bon article mais !
    Quels peuvent être les dommages collatéraux ? Je pense entre autres au fournisseur de moteurs Safran. Est-il payé des moteurs fournis, montés sur les avions fabriqués et non livrés. Safran a certainement arrêté la chaîne de moteurs. Combien de temps pour relancer une fabrication, réactiver la chaine d'approvisionnement ? Et tous les autres fournisseurs ?

  • Tout aurait pu fonctionner, si un grain de sable n'était venu perturber cette stratégie...
    ... Covid-19, Tient donc ?
    Bis-répétita dans le monde de la finance, mais cette fois nous ne parlons plus d'une seule compagnie.
    Quand je dis ça je ne dis rien.

    • Surtout pas acheter chinois.ils ne font que copier et mal et quand ils veulent créer !, ils mettent la planète en danger .covid pour ne pas le nommer..

  • Pendant longtemps, s'entendre dire par le PNT "bienvenue à bord de ce Boeing 737 max" mettra un sentiment de malaise dans les rangs des passagers.
    Quel est l'avenir commercial de cette machine ?

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