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Industrie

3 questions encore ouvertes à propos des futurs taxis volants

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Gilles Rosenberger

L’urban air mobility (UAM) attire les capitaux. Les projets de taxis volants se multiplient. Les promesses aussi. Plusieurs eVTOL (aéronef électrique à décollage et atterrissage vertical) tiennent la corde. La communication qui entoure les programmes évite discrètement trois sujets dérangeants : les émissions sonores, la sécurité des vols et le coût réel de l’heure de vol. Et derrière ces paramètres, les calendriers annoncés pour les maîtriser.

Le symposium virtuel Electric & Hybrid Aerospace Technology a réuni, les 20 et 21 avril, 45 intervenants et plus de 200 participants. Ces deux journées ont été l’occasion de faire le point sur les principaux domaines de l’aviation électrique et hybride. Des questions ont été soulevées, sans que des réponses aient été apportées. Trois thèmes animent les débats au sein du microcosme de la mobilité urbaine aérienne (UAM : Urban Air Mobility).

Les nuisances sonores, facteur clé de l’acceptation social des eVTOL

Très peu de communication sur les niveaux de bruits effectifs de ces eVTOL urbains ont été faites au cours des deux journées de symposium. Les quelques rares données numériques disponibles sont incomplètes et manquent de précision. Il ne s’agit pas non plus de mesures publiques ou contradictoires des émissions sonores. Les quatre principaux projets qui sont aussi ceux qui ont levé le plus de fonds ne dérogent pas à cette règle.

eVTOL Volocity de Volcopter. © Volocopter

Volocopter annonce 65 dB(A) perçu à 75 m du véhicule en vol stationnaire, mais ne précise rien du niveau de bruit en montée jusqu’à ce niveau. Joby Aviation ne communique pas sur des données chiffrées mais présente une vidéo où le dernier modèle, un S4 (vide), décolle (de quelques dizaines de cm) en arrière-plan du PDG qui se félicite de la réussite du dernier tour de table de financement. Le bruit de l’appareil ne semble pas gêner le discours …

Lilium affirme pour sa part que le véhicule à 7 places est « 6 à 7 fois moins bruyant » qu’un hélicoptère, sans préciser lequel, ni dans quelle configuration. Quant à Archer, une information de presse -jamais reprise par ailleurs- fait référence à un improbable 45 dB (avec toujours les mêmes questions sur les distances et conditions).

Pour référence le protocole Calipso retenu par la DGAC pour classer les avions légers en fonction du bruit se base sur une série de mesures à 800 ft (244 m) pour des vols en paliers à différentes vitesses. Et les avions de classe A (les plus silencieux) ne doivent pas dépasser 62 dB. Tandis que les classes B, C et D représentent des valeurs supérieures. Pour information à Toussus-le-Noble, dans la première phase de l’expérimentation convenue entre Autorités/Riverains/Pilotes ou Exploitants, les avions de la classe A étaient les seuls à ne pas subir de restriction.

L’équilibre est probablement difficile à trouver entre nombre de moteurs et vitesse de rotation depuis le Joby S4 (6 tilt rotors), le Maker (démonstrateur d’Archer, avec 12 moteurs ont 6 en version tilt), le Volocity (de Volocopter avec 18 moteurs fixes) jusqu’au Lilium Jet (avec 36 moteurs carénés orientables).

eVTOL Maker de Archer © Archer

Le niveau de bruit est bien évidemment un facteur clé pour qui prévoit de décoller/atterrir en zone urbaine et voler à basse altitude. Peut-être devrons-nous attendre la certification pour des informations objectives. Mais l’acceptation sociale ne semble pas vraiment anticipée …

Un objectif de sécurité encore loin

La certification récente du Velis Electro de Pipistrel, premier avion électrique certifié, repose sur le standard LSA (Light Sport Aircraft) qui exige des équipements répondant à un critère dit « 10 [moins]6 » (1 événement catastrophique pour 1 million d’heures de vol). Tandis que la spécification des eVTOL en usage urbain impose des équipements répondant à un critère « 10[moins]9 » (1 événement catastrophique pour 1 milliard d’heures de vol). Une des conclusions provisoires du symposium Electric & Hybrid Aerospace Technology est qu’à ce stade, aucune des technologies de batteries existantes mises en œuvre sur les eVTOL ne répond à ce critère 10[moins] 9.

Certaines recherches actuelles tentent de maitriser l’extension du feu de batterie qui reste l’événement catastrophique le plus redouté : pour faire court, il serait question de tenter de convaincre les autorités qu’un feu à bord « maitrisé » permet de continuer le vol jusqu’à une plateforme d’atterrissage adaptée. Un pari, qui à ce stade, paraît risqué… D’autres constructeurs préfèrent miser sur l’émergence de batteries dites Solid State dans lesquelles l’électrolyte solide est ininflammable. Mais les faibles niveaux de maturité actuels (TRL4 ?) de cette technologie ne permettent pas d’espérer une certification avant 2030…

eVTOL Joby S4 de Joby Aviation. © Joby Aviation

Malgré l’écart qui demeure entre le niveau de sécurité offert et celui exigé, les porteurs de projets maintiennent leurs calendriers ; les certifications et entrées en service annoncées pour 2024 restent à l’affiche.

Un coût de l’heure de vol conditionné en partie par la durée de vie de la batterie

Tous les porteurs de projets mettent en avant le caractère économique de l’exploitation résultant du faible cout de l’énergie électrique fournie par le réseau et la simplicité de la maintenance. Cette première affirmation pose un problème. Comment l’amortissement de la batterie est-il intégré dans ce calcul ?

Il est entendu que la durée de vie de la batterie (en nombre de cycles) dépend de nombreux facteurs notamment de la profondeur de la décharge lors de chaque cycle, de l’intensité du courant de charge/décharge (mesuré en nombre de CC-Rate : ratio C entre le courant de charge (ou décharge) à chaque instant et le courant qui correspondrait à une charge (ou une décharge) complète en 1 heure. Exemple un courant de 4C correspond à un courant qui déchargerait la batterie en ¼ d’heure.
Un courant de 0,5C déchargerait la batterie en 2 heures. Deux critères participant à dégrader la durée de vie de la batterie : des nombres de C élevés (à partir de 2C) utilisés sur des longues durées (à partir de 5 à 10 minutes, selon les chimies internes). On comprend qu’une batterie qui alimente un moteur d’avion à pleine puissance en montée initiale puis à 75% en croisière utilisera des nombre de C bien plus élevés qu’une voiture dont la vitesse de croisière est de l’ordre de 40% de sa vitesse max.
) et bien sûr de sa technologie, des températures d’usage et de stockage, etc. Compte tenu de la faible densité énergétique massique (250 Wh/kg actuellement au niveau des meilleures cellules industrielles et peut-être le double dans la décennie qui vient), les véhicules seront appelés à embarquer des batteries « juste capables » de réaliser le trajet urbain le plus long du catalogue soit 15 à 20 minutes de vol (plus la réserve de sécurité).

eVTOL Lilium Jet de Lilium. © Lilium

Cette contrainte va conduire à terminer la plupart de ces vols avec un bas niveau de charge (hors effet réserves) et donc réaliser un cycle quasi complet de charge/décharge à chaque vol. Le tout étant accompagné de hautes valeurs de vitesse de décharge (C-rate). Les bonnes batteries actuelles offrent 1.000 cycles (pour mémoire, celles du Velis Electro sont données actuellement pour 500 cycles). Pour un taxi volant réalisant 10 vols par jour, la limite des 1.000 cycles conduit à consommer entre 3 et 4 batteries par an. Pour des batteries offrant entre 200 et 500 kWh, l’amortissement supplémentaire pèse entre 400 € et 1.000 € par heure de vol. Un niveau difficilement compatible avec les coûts opérationnelles avancés et qui se situent initialement  vers 700 €/hdv.

Les couts vont certes se réduire au cours du temps du fait de l’évolution de la technologie des batteries et d’une plus longue durée de vie en cycles (ou plus grand C acceptables), ainsi que des plus forts volumes de production entrainant une baisse unitaire. Mais l’engouement lors de l’entrée en service risque d’être douché si les coûts d’exploitation des eVTOL sont plus élevés que ceux des hélicoptères.

Gilles Rosenberger

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Gilles Rosenberger

Gilles Rosenberger se définit comme ingénieur, pilote (aile delta, planeur et avion monomoteur) et entrepreneur. Expert de la Nouvelle Aviation, il est un observateur avisé et bien informé des développements des nouvelles technologies et usages qui devront nous permettre de “voler moins carboné”. Il a construit son expérience et son expertise dans des sociétés telles que Socata, Aircelle, Safran, GECI-Skylander, Thales, Airbus-Voltair, Faraday Aerospace et Time To Fly.

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  • Je resterais au niveau technique car nul ne peut prédire ce que les Autorités peuvent requérir en terme de normes pour la certification. Ces projets allient complexité en mettant de côté les limites liées aux concepts proposés.....autonomie, bruit, commandes de vols et logiques de transition vol stationnaire vol conventionnel , sécurité et sont le fruit d'entités qui certes ont des idées mais qui pour la plupart démarrent en aéronautique......rien ne remplace une culture d'entreprise, on a beau recruiter à grand frais, il est toujours très hasardeux de vouloir construire une entreprise aéronautique...

  • quelles sont les exigences reglementaires de secu pour les helicopteres de taille equivalente? est ce aussi 10-9 ?

    je me posais la question si bolloré envisageait d‘entrer dans le secteur aeronautique vu qu‘ils maitrisent la techno batterie solide et publient une densité énergétique dans le milieu du marché?

  • Quand on voit comment a vu le jour la réglementation pour les drones... la réglementation qui devrait sortir pour les meetings, la réglementation pour les DZ, les créations de zones d'aéromodéles...etc .. je suis perplexe.. tout simplement parceque dans ce classement PISA là... on est champions..du monde.. A décharge ,il y a beaucoup de pays qui étaient en avance sur nous , qui sont revenus sur leurs pas à cause de problèmes de sécurité et surtout de sureté dans ce monde ou il y a toujours un C..... pour s'en servir pour mettre le souk..

    • La déclaration des drones, en ligne, comprenant les modèles réduits (au sens historique du terme) en est à plus de 200000 déclarations ! Vers une administration habituée à s'occuper de 2000 avions certifiés et 2500 ULM, environ... Je rigole doucement. J'attends l’effondrement...

  • Oui une fois de plus le constat que notre (chère) administration se croit chargée de légiférer sur tout mouvement depuis que l on pose un pied en dehors de son lit, parce qu elle est trop nombreuse Au lieu
    - d éduquer: une liberté suppose responsabilité laquelle suppose éducation-formation.
    - d assurer la cohérence mais cela demande une compétence et une méthodologie
    Faisons des économies svp

  • Ce sujet me plonge dans un abîme de perplexité...Quand on sait que, pour aller poser en hélicoptère des centrales de ventilation sur un futur hypermarché dans une zone industrielle complètement bouclée il faut faire une demande de création d'hélisurface plusieurs semaines à l'avance à des préfectures qui en plus des exigences de l'arrêté de référence rajoutent leur "petite touche personnelle", et que l'autorisation, si elle arrive en temps et heure fixe justement un jour et une heure pour l'opération - peu importent les conditions météo du jour-, exigent parfois l'utilisation d'un bi-moteur (sans préciser qu'il doit être capable de rester en l'air sur un seul, pour ces spécialistes, cela coule de source), je me demande quels sentiments éprouveront les opérateurs d'hélicoptères en travail aérien qui galèrent au quotidien dans cet environnement bureaucratique si notre chère "autorité" nationale donne sa bénédiction à ce genre de véhicule, qui plus est éventuellement dépourvu de "chauffeur", alors que ce n'est pas encore possible pour des voitures...Il est vrai que mon activité en exploitation date un peu (2018) et que depuis, il est possible que tout cela ne soit plus d'actualité ?

    • @ Jean DEBROIZE
      Votre expérience décrit précisément les difficultés réglementaires et "culturelles" du vol urbain en France.
      Le marché du taxi volant urbain est mondial et nombre de pays offrent déjà des flexibilités plus grandes.
      Mais il est alors probable que la France soit le dernier (c'est une image) pays ou l'évolution réglementaire et culturelle le permette.
      Quoiqu'il en soit, le chemin pour y arriver sera long et devra avoir démontré un niveau de safety bien supérieur à celui démontré aujourd'hui par les hélicoptères légers existants (fussent-ils bi-turbine). Autant dire que ce n'est pas gagné.

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