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Industrie

Où sont passés les avions régionaux ? (1/3)

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Thierry Dubois

Les ventes d’avions régionaux sont sur une pente descendante depuis des années. Bombardier, Comac, De Havilland, Mitsubishi et Soukhoi ont disparu ou se sont fait très discrets. Seuls ATR et Embraer continuent à y croire. Premier article de notre série sur les avions de moins de 100 places.

Quand les avions régionaux finiront-ils leur descente aux enfers ? Autrefois acteurs dynamiques avec des ventes significatives et le lancement fréquent de nouveaux modèles, les avions de moins de 100 places voient leur rôle réduit à celui de figurant.

Les patrons des constructeurs ont beau se montrer optimistes, rien n’y fait. Le renouvellement des flottes se fait attendre. Le besoin en petits modules pour relier les contrées reculées aux grandes villes ne se matérialise qu’au compte-goutte. L’empreinte carbone réduite des turboprops ne provoque guère l’engouement.

Seule lueur d’espoir à court terme pour les aficionados, Embraer semble sur le point de lancer un nouvel avion à turbopropulseur, à côté de sa gamme de jets. Chez ATR, le leader des turboprops, on poursuit une politique d’amélioration incrémentale.

Les ventes d’ATR sont marquées par la désaffection générale pour les avions régionaux. © ATR/Pierre Langenfeld

Ailleurs, des programmes disparaissent. Bombardier est sorti du secteur des avions régionaux. Le Japonais Mitsubishi Heavy Industries RJ a repris les programmes de jets CRJ… pour en assurer seulement l’entretien. Mitsubishi Aircraft Corporation, dont le principal actionnaires est MHI RJ, a suspendu la mise au point du SpaceJet (ex-MRJ).

De Havilland Canada a repris le programme Bombardier Q400, rebaptisé Dash 8-400 conformément à ses origines. Mais le Canadien ne sait pas s’il va continuer à le fabriquer.

Le Sukhoi Superjet SSJ100 est mal en point. Les sanctions contre la Russie empêchent Safran, Thales et les autres partenaires occidentaux de livrer leurs sous-ensembles et de les entretenir. Le SSJ100 avait jusque-là réussi à se faire une place modeste sur le marché.

Le programme Sukhoi Superjet SSJ100 d’Irkout est sous le coup des sanctions contre la Russie : les fournisseurs occidentaux ne peuvent plus livrer. © Sukhoi

Fabriqué en Chine, le Comac ARJ21 connaît une diffusion confidentielle. Et on n’entend plus parler des turboprops Avic MA60/MA600 et MA700. Le premier est censé être en service : une soixantaine volent, selon le site simpleflying.com. Le second, en développement au début des années 2010, devait être une évolution du MA600.

En 2019, la dernière année « normale » pour le transport aérien avant la crise du COVID-19, les avions régionaux représentaient seulement 5,1 % en valeur des livraisons d’avions commerciaux. La chute est vertigineuse depuis les 16,7 % de 2004, note le cabinet Teal Group.

Cette proportion en déclin est-elle due à une croissance forte chez les avions de plus de 100 places ? Pas seulement. Le marché des avions régionaux lui-même a décru de 5,2 % par an en moyenne entre 2014 et 2018.

Le Covid n’a rien arrangé : en 2021, ATR a livré 31 avions et Embraer 25. Même avec la reprise, les cadences resteront sans commune mesure avec celles des avions plus de 100 places. Embraer prévoit de fabriquer en un an ce qu’Airbus va produire en un mois.

Sur le marché nord-américain, Embraer subit les effets des scope clauses, ces accords entre les compagnies et les syndicats de pilotes qui limitent le recours aux avions régionaux. © Embraer

Quelles peuvent être les raisons structurelles de cette désaffection ? Commençons par la région du monde possédant la plus grande flotte d’avions commerciaux. En Amérique du Nord, les « scope clauses » sont des accords signés entre les compagnies aériennes et les syndicats de pilotes. Ces derniers veulent éviter que les grandes compagnies n’externalisent une trop grande part de leur capacité vers leurs filiales régionales. Celles-ci sont réputées moins bien payer leurs pilotes.

Ainsi, une scope clause limite le nombre et la taille des avions exploités par une filiale. Les effets sont significatifs sur le marché des avions régionaux. Les constructeurs ont adapté le nombre de sièges en fonction de ces accords. Et ils subissent un plafonnement de facto de leurs ventes.

Embraer voit souvent son E190-E2 configuré avec 100 sièges alors qu’il est capable d’en recevoir 114. Le constructeur a ralenti son programme E175-E2 (90 sièges) et prévoit désormais sa certification en 2027 : plus lourd à cause de ses nouveaux moteurs, il ne répond plus aux critères de certaines scope clauses.

Aux Etats-Unis, un autre facteur intervient, celui de la réduction des fréquences vers les villes moyennes, notait Teal Group en 2020. Cette tendance de fond s’accompagne du déclin des hubs, comme à Cincinnatti, note encore le cabinet. Le besoin en petits modules pour alimenter la plate-forme de correspondance se réduit.

Ailleurs dans le monde, les compagnies régionales sont souvent des petites entreprises. Elles ont donc moins facilement accès aux liquidités qui autorisent l’achat de nouveaux actifs. C’est le problème rencontré notamment par ATR, dont les clients dépendent, encore plus que les grandes compagnies, des ventes de billets.

La pandémie a donc aggravé une situation déjà fragile. Des compagnies ont mis la clé sous la porte. D’autres ont reporté leurs investissements.

Les avions de moins de 100 places en production

Modèle Jet/Turboprop Nombre de sièges maxi
ATR 42-600 Turboprop 50
ATR 72-600 Turboprop 78
Comac ARJ 21 Jet 90
Embraer E175 Jet 88
Embraer E190-E2 Jet 114 (100 sous accord « scope clause »)
Soukhoi Superjet 100 Jet 98

Ainsi, l’ATR 42-600S a vu sa première livraison repoussée de deux ans. La version à décollage et atterrissage courts du 50-places sera livrée à partir de la fin de 2024. Les clients seront alors prêts à prendre possession de leurs nouveaux avions, explique Stefano Bortoli, le directeur général d’ATR.

Des problèmes spécifiques touchent les turboprops. L’image des « avions à hélice » reste un boulet. Malgré des progrès spectaculaires en matière de vitesse de croisière et de confort acoustique à bord, le passager moyen est peu enthousiaste à l’idée d’embarquer dans un aéronef perçu comme vieux. La faute, en partie, à la proportion de modèles d’ancienne génération toujours en service.

Les raisons opérationnelles sont plus tangibles. Juste avant la pandémie, Anne Rigail, la directrice générale d’Air France, expliquait l’abandon des ATR chez Hop!. D’une part, les soutes à bagages étaient devenues trop exiguës. D’autre part, il était devenu difficile de rentabiliser une ligne avec un ATR. « C’est une question de massification des flux, les low-cost qui s’en sortent n’ont pas de petit module et les flottes régionales évoluent vers des avions plus gros », précisait Anne Rigail.

Alors, quel espoir pour les avions régionaux à long terme ? Une révolution technologique pourrait les remettre au centre du jeu, grâce à l’hybridation électrique ou à l’hydrogène. Dans les deux cas, le besoin limité en distance franchissable désigne les moins de 100 places comme les candidats idéaux dans un premier temps. Airbus, ATR et Embraer planchent sur le sujet.

Thierry Dubois

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Thierry Dubois

Thierry Dubois est journaliste aéronautique depuis 1997. Ingénieur Enseeiht, il s’est spécialisé dans la technologie – moteurs, matériaux, systèmes — et la sécurité des vols. Chef du bureau français du magazine Aviation Week, il anime aussi des rencontres comme les tables rondes du Paris Air Forum. Pour Aerobuzz, Thierry Dubois couvre notamment les hélicoptères civils et des sujets techniques.

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