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Darwin, le retour

© Vincent / Aerobuzz.fr

En 1974, j’étais trop jeune pour apprécier à sa juste valeur le premier vol du YF-16. Quelques années plus tard, j’avais vu le F-16A de présérie voler au Bourget. Un vaisseau spatial dans le ciel de Paris ! Le 31 octobre dernier, un bug de la matrice m’a gentiment fait revenir un demi-siècle en arrière avec le premier vol du YFQ-44 « Fury » d’Anduril.

Même train d’atterrissage, même entrée d’air ventrale, empennage et voilure apparentés… Le YFQ-44 est un F-16 en réduction, une bonne gueule de petit requin volant, prêt à en découdre. Bon d’accord, le réacteur F100 des premiers F-16 a été remplacé par le FJ44, un petit moteur civil plutôt taillé pour pousser les avions d’affaires. Le Fury ne sera pas supersonique, c’est une certitude. Pour réduire les coûts de son engin, Anduril a également fait son marché chez les équipementiers civils pour de nombreux systèmes embarqués. Les futurs utilisateurs pourront aller acheter leurs pièces détachées au supermarché du coin. Ou presque.

L’autre particularité du Fury, c’est qu’il n’a pas de soute à munitions. Tous les autres projets de « Combat Collaborative Aircraft » (CCA), Ghost Bat de Boeing, XQ-58A de Kratos ou encore YFQ-42A de General Atomics, avancent avec une soute qui leur donne ce petit embonpoint du quinquagénaire. Le Fury n’en a pas, c’est sa manière de rester svelte et jeune. Ses missiles, il les emportera sous les ailes, comme un vrai chasseur des années 80, à l’époque ou la furtivité n’était pas l’alpha et l’omega de la conception des avions de combat. C’est une prise de risque d’Anduril qui a choisi de privilégier la compacité et la manœuvrabilité sur la complexité et la lourdeur.

C’est un pari, mais en matière de CCA, tout est fait de paris aujourd’hui. Personne n’a vu l’avenir, personne ne sait où l’on va avec ces futurs ersatz de chasseurs. Les avionneurs sont engagés dans un grand écart conceptuel et seuls les plus agiles survivront à ce French Cancan pour ingénieurs  : il faut faire bon marché mais innovant, il faut aussi prévoir la construction en grande série d’un engin dont le cahier des charges reste encore très flou. Un radar, une soute, le vol supersonique, la furtivité et surtout le degré d’autonomie : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ? Personne ne sait.

Dans cette nouvelle course qui débute, Etats-Unis, Turquie et Chine ont mis la marche avant, résolument. Les Européens sont en retrait. Certains pays ont déjà abdiqué et se sont confortablement installés dans la voie de la soumission en signant des accords de coopération avec les industriels US. Avec l’UCAS de Dassault, la France prépare un drone de combat très sophistiqué, dans la catégorie supérieure des drones furtifs. Un engin de la taille du Mirage 2000, qui promet beaucoup. Mais dans le processus de sélection darwinien qui débute, l’excellence technique sera-t-elle suffisante pour survivre ?

Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une trentaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

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