En ukrainien, ça se dit далекобійники класні ! La semaine dernière, cinq chauffeurs russes se sont donc retrouvés au volant de leurs semi-remorques, trimballant à l’insu de leur plein gré une centaine de drones FPV qui sont allés semer le chaos sur les bases aériennes de leur pays. Les pauvres bonhommes se consoleront (ou pas) à l’idée que, quelque part, ils sont entrés dans l’histoire en inaugurant une nouvelle utilisation du poids-lourd. On connaissait le camion bélier sur la promenade des Anglais, le camion suicide à Beyrouth, voici venue l’ère du camion missile de croisière. Un bonhomme à la place de la centrale inertielle, une autonomie de quelques milliers de kilomètre et des sous-munitions à la précision décimétrique. Faut juste pas être pressé…
Cette opération ukrainienne d’anthologie est parfois comparée à un Pearl Harbor pour Moscou. C’est très exagéré : les Russes sont loin d’être KO, ils sont simplement terriblement vexés. A l’inverse, la présenter comme une seule affaire de propagande semblable au raid de Doolittle sur Tokyo en 1942 serait très réducteur : la destruction de plusieurs bombardiers stratégiques aura un impact opérationnel réel. Sans compter cet effet secondaire inattendu révélé par les images venues de Russie, montrant des files interminables de camions à l’arrêt, dans l’attente d’une fouille. Réaction aussi spectaculaire que vaine des autorités locales, à la recherche de crédibilité après l’immense gifle reçue. Mais une réaction qui en dit long aussi sur l’écueil face auquel se retrouvent aujourd’hui les services de sécurité.
Si un simple conteneur contrôlé depuis Pétaouchnok est capable de semer le chaos sur une base aérienne, que va-t-on devenir ? Deux chiffres pour donner la mesure du problème : plus de 500.000 poids-lourds sont immatriculés en France et quelques millions d’autres le sont dans les pays frontaliers. A Rotterdam, plus grand port de marchandises d’Europe, on traite près de 9 millions de conteneurs par an. Et si le conteneur c’est trop gros, remplacez le poids-lourd par une camionnette, une motocrotte ou un zodiac. Et donc voilà, vous serez face à une équation sécuritaire impossible à résoudre. Remplacez les explosifs par un mélange de confettis, de boules puantes et de chimique, le guidage GPS par de la fibre optique et vous aurez un scénario à la Tom Clancy.
Comment protéger les bases aériennes contre cette menace anonyme et ubiquiste ? Comment protéger la tribune présidentielle du 14 juillet ? Faudra-t-il recouvrir les Champs Elysées de filets ? Sur la base aérienne d’Orange, pour préparer l’arrivée de deux nouveaux escadrons de Rafale, l’armée de l’air a fait rénover les hangarettes blindées datant de la Guerre Froide. Les Rafale y sont systématiquement rangés entre deux vols. Il faudra maintenant avoir le réflexe de fermer les portes…