Choc des générations

Le 19 août dernier, pendant que notre président à nous auditionnait les candidats au poste de premier ministre, son collègue américain s’asseyait pour la première fois dans un VH-92 « Patriot », alias « Marine One ».

Marine One est l’indicatif radio de l’hélicoptère présidentiel (mis en oeuvre par les Marines) lorsqu’il transporte le locataire de la Maison Blanche. Depuis 1978, cet hélicoptère a traditionnellement été un Sikorksy VH-3D Seaking. Puis sont arrivés les attentats du 11 septembre 2001 et les Américains ont alors été pris d’une furieuse envie de changement. En 2004, une compétition a été lancée pour le remplacement des VH-3D. Joe Biden était alors un bambin de 62 ans qui ne parlait pas encore aux grues de chantier. 

Appel d’offre, cahier des charges, compétition, complexification, sophistication et surenchère… Lockheed Martin l’emporte avec son VH-71 Kestrel qui est préféré au Sikorsky S-92. Le Kestrel est en fait un AgustaWestland AW101 à la sauce américaine, c’est à dire avec une liste d’équipements longue comme un jour sans pain et si possible hors de prix. Quand il en va de la sécurité de l’homme le plus puissant du monde (après le premier secrétaire du parti communiste chinois), faire cher et compliqué est plus qu’une possibilité, c’est un devoir patriotique.

Le Kestrel reçoit donc des blindages, des protections de toutes sortes contre les missiles à guidage infrarouge et électromagnétique, des équipements de communication avec forfait internet illimité, une protection contre les impulsions électromagnétiques, une autre contre les risques chimiques et bactériologique, j’en passe et des meilleures.

Lourd comme un sketch de Bigard, le Kestrel voit son autonomie fondre comme neige au soleil. On parle d’un peu moins de 500 km, ce qui reste tout de même suffisant pour aller de la Maison Blanche à la base aérienne d’Andrews. En même temps, 500 kilomètres ou 2h30 de vol, c’est beaucoup passé un certain âge.

Le risque est grand que certains passagers aient faim, que d’autres aient une envie pressante et que le président lui-même ait les deux à la fois. L’hélicoptère est donc équipé d’une cambuse et de toilettes. Les travaux se poursuivent tranquillement jusqu’en 2009, date à laquelle quelqu’un fait une addition et se rend compte que 4,4 milliards de dollars ont déjà été dépensés et que la facture finale sera de 13 milliards si la fabrication des 28 appareils prévus va à son terme.  Oups !

Le programme est annulé, les neuf hélicoptères déjà en production sont revendus une bouchée de pain au Canada qui les utilisera comme réservoirs de pièces détachées pour leur flotte de Cormoran. Bonjour tristesse.

Cinq années passent. La notion d’urgence s’est évaporée dans le ciel clair mais les Seaking continuent de vieillir inexorablement et le Pentagone décide alors de remettre l’ouvrage sur le métier. On est en 2014 et cette fois-ci est la bonne pour Sikorsky qui l’emporte avec le VH-92 « Patriot ».

Dix ans plus tard, Sikorsky vient donc de livrer le 23^ème Patriot de la commande. Coût total : 5 milliards de dollars, soit 200 millions la pièce. Le prix d’un peu plus de deux Rafale. Le dernier hélicoptère a été livré le 14 août 2024 et cinq jours plus tard, Joe Biden pouvait s’assoir dedans en demandant des nouvelles de John F. Kennedy. Le plus jeune hélicoptère de la flotte américaine a donc rencontré le plus vieux des présidents, un choc des générations qui était attendu depuis 20 ans !